Bricolage: l’avenir en rose, mais sous conditions...
Optimiste... oui, mais. L’étude de 70 pages remise par l’économiste Nicolas Bouzou sur les perspectives du marché du bricolage table sur une croissance de 2 à 3 % par an pour les années à venir. Oui, mais à certaines conditions, sans compter l’inflation actuelle.
C’est le cabinet Asterès que dirige Nicolas Bouzou qui a planché en avril dernier sur le secteur du bricolage. « Un superbe travail », se félicite le commanditaire, Jean-Luc Guéry, président de l’association des industriels du nouvel habitat (Inoha). Il est vrai que le rapport est fourni et plutôt optimiste, avec des croissances annuelles probables sur plusieurs années. Ce rapport croise les données immobilières, les ventes d’outil- lage selon les surfaces habitées, les âges, etc.
4 minutes chez un jeune... 20 minutes vers 60 ans
Un travail de fourmi qui fait dire à ce cabinet que les dépenses des Français dans le secteur du bricolage dépendent de la rencontre de trois facteurs indissociables : le revenu brut disponible, le temps libre et les projets immobiliers. Selon l’étude, « la hausse du revenu disponible brut des Français connaît une progression annuelle moyenne de 2,9 % depuis 2019 ». Pour ce qui est du temps libre, « la part de pratiquants augmente avec l’âge, note le cabinet Asterès, avant de chuter brutalement après 70 ans ». Ainsi, 4 % des jeunes de moins de 25 ans passent en moyenne 4 minutes par jour à bricoler. « Cette proportion double quasiment dans les années qui suivent pour atteindre 15 % chez le 55 à 64 ans qui s’adonnent à cette activité à raison de 20 minutes quotidiennes.»
Trois fois plus de dépenses en maison
Dernier critère indissociable à la bonne santé du bricolage : l’existence de projets immobiliers. « Plus encore que l’accession à la propriété, la surface des logements influe sur les dépenses en outillage », expliquent Nicolas Bouzou et son équipe. Les ménages vivant en maison dépensent ainsi trois fois plus (307 € en moyenne par an en 2020) que ceux vivant en appartement (92 €). Voilà pour les trois critères qui soutiennent le marché... Mais lesquels lui permettraient de s’envoler un peu, à l’instar de ce qui s’est passé sous le règne du Covid-19 ? Il faudrait un alignement de planètes...
Le prix du produit aurait peu d’impact sur les ventes
Selon le président d’Inoha, l’un des enseignements intéressants de cette étude (disponible à la vente) est la décorrelation des prix des produits avec les performances du marché. Ainsi, une hausse de prix de 1 % n’aurait que 0,1 % d’impact sur les ventes. « Cela veut juste dire que la bataille du prix, de l’import, n’a pas les effets escomptés sur les ventes mais risque en revanche d’affaiblir la capacité des fabricants
à innover. » L’étude a d’ailleurs relevé les excédents bruts d’exploitation des entreprises adhérentes d’Inoha pour s’apercevoir qu’ils avaient diminué de moitié entre 2010 et 2020.
Ce qui influence le marché brico
Si les « ménages dépensaient 20 % de l’épargne supplémentaire accumulée pendant la crise sanitaire, estimée à 180 Md€ par la Banque de France, cela impacterait la croissance du marché d’environ 2 % jusqu’à fin 2022. » Autant dire que cette dépense d’épargne, Jean-Luc Guéry n’y croit guère dans les semaines à venir : « L’inflation actuelle peut avoir un impact négatif sur la “désépargne” des Français. » De fait, un certain nombre de distributeurs constatent une baisse de fréquentation. Disons donc que cette condition sera sans doute réalisée mais un peu plus tard. « Je suis en effet interrogatif à court terme mais optimiste à moyen terme », ajoute Jean-Luc Guéry.
Des fabricants inquiets à court terme
L’envolée du coût de l’énergie se traduit par une inflation des prix des produits énergivores tels que l’aluminium ou le verre. Les prix battent des records. Le prix de l’aluminium a bondi de plus de 60 % en un an. Pas de quoi rassurer Jean-Luc Guéry. « Les fabricants ont connu la phase d’une demande de volume considérable, on a embrayé avec la pénurie de containers et de matières premières et nous voilà maintenant sous le coup de cette flambée des tarifs de l’énergie qui se répercute sur le prix de la matière. » Il n’y a guère que le prix du bois brut qui se calme, mais pour certaines entreprises adhérentes d’Inoha, la coupe de fatigue est pleine. Elles doivent acheter les matières à leur prix du moment sachant qu’elles ne pourront pas le répercuter au distributeur de suite. Mais Jean-Luc Guéry s’empresse d’ajouter : « Heureusement notre relation avec les distributeurs a changé. Pendant la crise Covid, nous nous sommes rapprochés, il y a eu de l’écoute et je dirais que globalement la distribution a accompagné les industriels. Je n’aurais jamais imaginé cela il y a quelques années. »
Les retraités sont mieux outillés
Autre condition mentionnée par l’étude : pour que l’embellie du brico se poursuive, il faudrait que 30 % des télétravailleurs déménagent, notamment en zone rurale, ce qui rapporterait une croissance du brico de 1,3 %. Et si la part des Français bricolant plus depuis les confinements se maintient, le chiffre d’affaires du secteur augmenterait alors de 2,7 % par an. Autre situation favorable : si le e-commerce « continuait à se développer, suivant une hypothèse d’accélération liée à la pandémie », cela rapporterait + 2,6 % d’ici 2030. Que de conditions ! Mais elles sont intéressantes pour voir l’effet des phénomènes exogènes sur le CA du bricolage. D’ailleurs ce n’est pas fini : Asterès a réfléchi au vieillissement de la population et l’impact sur le... marché de l’outillage. Selon le cabinet, « les jeunes retraités actuels représentent une génération qui a tiré profit d’un départ à la retraite tôt et en bonne santé mais, en plus, en bénéficiant d’un revenu disponible inédit ». Selon le cabinet de Nicolas Bouzou, ce sont également eux qui consomment le plus d’outillage (environ 409 € par ménage), soit le double que les trentenaires et les quadras. Et l’étude d’affirmer que « cette tendance soutiendra le marché du bricolage grâce à un budget des ménages alloué à l’outillage qui pourrait augmenter de 2,7 % d’ici 2030 ».
Des idées pour doper le marché
En conclusion, Nicolas Bouzou suggère comme relais de croissance d’accompagner les bricoleurs trentenaires pour en faire des experts, de mettre en place une stratégie écologique avec une vision, un label unique et des outils de mesure. Sur ce point écologique, le président d’Inoha rêve « d’une sorte de label mis en place en commun avec les distributeurs permettant de tracer la qualité environnementale des produits. Une sorte d’appli type Yuka qui permettrait au consommateur de reconnaître tout de suite la qualité du produit. » Et tant pis pour les autres !
En 2022, ça va bricoler !
Ce n’est pas Madame Irma qui l’annonce, mais le très sérieux cabinet OC&C qui propose chaque année une étude sur les enseignes préférées des Français et sur du prévisionnel d’achat. Entre autres, le cabinet a posé cette question aux Français : « Toujours en pensant à 2022, dans quelle mesure pensez-vous que vos dépenses dans ces différentes catégories différeront par rapport à l’avant-pandémie ? » Et voilà le résultat : le bricolage fait partie des domaines où les Français sont les plus nombreux à répondre qu’ils vont dépenser plus ou beaucoup plus. Mais attention : ils sont quasiment aussi nombreux à expliquer qu’ils dépenseront moins ou beaucoup moins. Avec ça, nous voilà un peu interloqués... Disons qu’a minima, l’année devrait être stable...