Le produit, enjeu majeur de l'avis clients, Spécial Table Ronde #4
Sujet crucial de l"expérience client : le produit. Un mauvais sourcing peut nuire à la réputation d'un distributeur, (au point que certains éliminent les "mal étoilés") et a contrario lui profiter quand le produit a du succès. Oui mais dans les faits ... c'est encore le prix qui prime lors des négos !
Zepros Habitat : Est-ce que dans la relation client, vous détectez les avis produits, et de façon générale, quelle sont vos relations avec les fournisseurs ou le service achat?
François Chardon (ITM): Nous essayons de ne pas brouiller les pistes sur les questionnaires de satisfaction post-expérience achat. On regarde peut-être un peu moins les sujets de notation produit, justement parce que même si ça compte dans l’expérience, c’est quelque chose qui doit s’en distinguer car la qualité... Ce n’est pas tout à fait la même chose... On peut très bien se retrouver avec une note de 1 sur un produit alors que c’est juste la livraison qui n’a pas fonctionné. En revanche, une étude nous a montré qu’on devait challenger les fournisseurs sur le thème de la RSE.
Zepros Habitat : C’est-à-dire?
François Chardon : La RSE constitue un enjeu très imporant pour nos clients bien entendu, mais également pour nous, c’est notre responsabilité. On doit avoir des partenariats fournisseurs et se demander ensemble quelle doit être l’empreinte environnementale de chacun des produits de demain. En gardant toujours en tête les deux principaux critères qui sont toujours les mêmes: la proximité et le prix. Concilier tout cela est un véritable enjeu que nous devons travailler en collaboration.
Zepros Habitat : La RSE arrive en quelle position par rapport aux critères d’achat les plus importants ?
François Chardon : Toujours pareil, ça dépend un peu des situations... Vous repeignez la chambre de votre enfant par exemple, vous allez faire hyper attention à la peinture que vous mettez. Parce qu’elle a forcé- ment un impact sur la santé. Donc arrive pour le consommateur, derrière les critères prix et proximité, la question de savoir comment faire un achat qui est responsable pour l’environnement...
Zepros Habitat : Alors justement, quelle est votre action, votre influence auprès du service achat sur ces questions RSE ?
François Chardon: Nous allons travailler avec eux dans les ateliers pour essayer de comprendre comment sont constituées les gammes, quelle est la typologie des produits, etc. Vers quoi on va se projeter demain ? Pour qu’après, effectivement, le travail soit fait avec les fournisseurs.
Zepros Habitat : Vous êtes capable d’accepter un prix plus élevé si le produit est un peu plus RSE ?
François Chardon : Ça, je ne vais pas vous le dire, mais ça fait partie des négociations, on re- garde comment ...
Bertrand Kinche (Odrea) : Je peux répondre, c’est non...
François Chardon : Ça, c’est le boulot des achats. En tout cas, on fait ce travail-là aujourd’hui.
Bertrand Kinche : Quand je dis non, le “non” concerne toutes les enseignes. Aujourd’hui, il est plus facile de vendre un produit qui vient d’Asie. Dans les faits, un produit qui vient d’Europe a un tarif plus élevé (si l’on compare des produits identiques) car plus durable, plus “RSE”, et nous n’arrivons pas à le vendre, à le valoriser suffisamment. Parce qu’effectivement, tout le monde parle de RSE, mais dans la réa- lité, la première chose qui compte, c’est le prix.
François Chardon : Ça c’est clair. À plus de 80%,c’est le prix.
Zepros Habitat : Alors, vous voulez dire que quand le client dit « je veux du Made in France, je veux de la RSE, je veux du produit propre, etc. », en réalité, quand il est en magasin, son comportement est tout autre ?
Bertrand Kinche : C’est ce qu’on constate aujourd’hui, il va d’abord sur le prix, sur la MDD...
Zepros Habitat : Ce que vous voulez dire, c’est que les enseignes communiquent beaucoup sur la RSE, etc. Et quand les fournisseurs arrivent devant l’acheteur, malgré tout ça, ça fait pas basculer?
Bertrand Kinche: Non, je pense qu’il y a effectivement, comme vous l’avez souligné, un problème de relation entre les services qualité RSE des enseignes et les services achat. Je pense que nous ne sommes pas assez impliqués ensemble. Il n’y a pas de vrais partenariats sur ce sujet.
Zepros Habitat : On sent que c’est du vécu...
Bertrand Kinche : Oui, bien sûr, je suis le terrain en tant que directeur commercial, et c’est ce que l’on vit dans les échanges avec les services achat.
Zepros Habitat : Caroline, est-ce que vous vivez aussi cette expérience fournisseur ?
Caroline Bonhomme (Henkel): Je vous rejoins sur la partie éco- responsable : là on démarre les négociations et dans le même temps, on a pris des engagements très forts en termes de RSE puisque, par exemple, sur certaines gammes de produits, on supprime complètement le plastique sur nos blisters notamment les blisters de Superglue, on bascule sur du carton. Mais à la clé, le coût de production est 10% plus cher, donc si vous voulez, forcément nous prônons une équité dans la répartition de l’effort. Le triptyque industriel-distributeur- consommateur doit à un moment contribuer à ce type d’avancées sur les produits.
Zepros Habitat : Que pensez-vous de ce sentiment que la RSE, finalement, passerait au second plan au niveau des achats?
Paul de Basquiat (Leroy Merlin) : Il y a des études qui montreraient que des produits respectueux de l’environnement ne sont pas forcément des critères de choix prioritaires pour les clients. On l’entend… La question, c’est celui du rôle que l’on veut jouer en tant qu’enseigne. On a deux enjeux: un enjeu de pédagogie vis-à-vis du client pour l’aider à faire des choix plus responsables pour sa maison. Et un enjeu de construction d’une offre de produits plus vertueux ET accessibles en termes de prix. C’est ça, le sujet du Home Index lancé il y a quelques mois…
Zepros Habitat : Somme toute, n’est-il pas nécessaire qu’un index commun soit adopté… Home Index ou autres?
Bertrand Kinche: Il faut l’espérer. Espérer pour nous tous en fait. Nous y travaillons au sein d’Inoha avec nos partenaires. Dans tout ce contexte (RSE, tarifs, expérience client), la durée des négociations est trop courte, trop sous pression, on ne voit pas assez loin pour aborder des vrais sujets. Nous ne voyons pas assez la durabilité de notre partenariat.
Zepros Habitat : Oui, même si comparé aux années 1990, on a l’impression que les relations entre distributeurs et fournisseurs se sont améliorées…
Bertrand Kinche: Je vous le confirme…
Raymond Tanguy (E.Leclerc): Le client est de plus en plus sensible aux achats responsables ayant des impacts sur la planète, mais sans vouloir baisser son pouvoir d’achat. Ça, c’est l’équation qu’il va falloir qu’on arrive à résoudre. Dans le mouvement E.Leclerc, on a décidé de prendre une orientation, d’être davantage en partenariat avec nos fournisseurs. Il y a une décision d’enseigne qui a été prise par Michel-Édouard Leclerc, portée par tous les adhérents, d’orienter le mouvement dans la décarbonation qui se traduit de différentes façons en magasin en recherchant le zéro carbone, avec nos partenaires fournisseurs dans la construction d’assortiments de produits plus responsables. Cette démarche doit démarrer dès 2024 pour construire un partenariat avec nos partenaires en leur donnant de la visibilité d’engagements à moyen et long termes pour leur permettre d’investir dans la création de produits RSE. Sinon, ça ne fonctionnera pas car à date, le consommateur n’est pas prêt à payer plus cher à date, et ça c’est vrai! Nos produits MDD devront répondre à un critère d’exigence environnemental élevé, de même niveau de qualité, voire même supérieur aux marques nationales. La “target” est donnée, l’exigence et la rigueur sont tracées.
Zepros Habitat : Pourrait-on imaginer que vous deveniez disciple du Home Index?
Raymond Tanguy: Absolument ! Ce n’est pas moi qui prendra la décision, mais néanmoins je peux insuffler effectivement… On parlait tout à l’heure des liens entre service achat et relation client: il s’avère que je m’occupe des deux, donc je vais pouvoir transmettre ces infos. Home Index peut-être, et il doit être à mon avis quelque chose de référent pour le consommateur; il faut qu’on se mette tous ensemble dans une démarche commune et collective.
Zepros Habitat : En termes de notation des produits, nous avions vécu l’arrivée de l’avis client chez Leroy Merlin avec le nombre d’étoiles, qui entrait dans le processus de référencement. Mais il y avait aussi des tests produits en live par des clients testeurs pour éventuellement faire remonter la note… Est-ce que ça existe chez Castorama également?
Céline Zuliani (Castorama): Nous avons aussi une démarche assez active de travail sur ces avis de produits. C’est une condition de performance de notre site ecommerce. Les clients sont devenus des partenaires de vente puisqu’ils commentent et aident d’autres clients à faire leur choix, donc c’est très important. Chez nous, les équipes digitales s’occupent de collecter les avis produits avec notre partenaire Bazaarvoice. Les commentaires arrivent jusqu’à nos équipes commerce, produits, pour pouvoir ensuite échanger avec les fournisseurs sur les différentes typologies de remontées qu’on peut avoir.
Zepros Habitat : Et chez Leroy Merlin, ce système évoqué existe-t-il encore?
Paul de Basquiat : Oui, bien évidemment, et ça existera toujours. En fait, il ne s’agit pas d’une tyrannie du consommateur, mais il faut plutôt y voir l’ADN de notre marque: «je recommande des produits de qualité en fonction de problématiques clients spécifiques». «Je réponds à mes clients en leur garantissant que ce produit est le bon produit par rapport à leurs besoins.»
Caroline Bonhomme: En réalité, les avis négatifs sur un produit peuvent souvent venir de sa mise en oeuvre plus que de la qualité intrinsèque du produit. Voilà pourquoi avec Leroy Merlin,par exemple, on s’engage à répondre à toutes les notations produits qui nous concernent dès que la note est inférieure à 3,5 je crois. C’est hyper-important de rectifier le tir, parce qu’après, les avis sont consultés et cela provoque forcément une sanction. l