Image
v2
Image
v2
Image
pavé tok

Amour au boulot : les liaisons dangereuses !

Patrick Cherruau
Image

Tomber amoureux sur son lieu de travail, c'est assez fréquent... et assez risqué même si aucune loi ne l'interdit en France. Pas comme aux Etats-Unis où les patrons en font souvent les frais ! En tout cas, il est vrai que cela peut vite devenir le bazar dans une équipe. Un coach et un avocat, prennent le dossier... à bras le corps !

Partager sur

L’entreprise est un lieu propice aux rencontres et forcément, des liens et des affinités se créent, au point de s’apprécier plus que comme de simples collègues. Avoir le même employeur, voire les mêmes diplômes, la même profession, les mêmes motivations ou centres d’intérêts, partager les séances de travail, les déjeuners, les soirées d’entreprises, les séminaires, voici bien des facteurs et autant d’opportunités qui expliquent que des amitiés se forment ainsi spontanément, et parfois beaucoup plus, au sein des entreprises. Dans un monde où celles-ci tendent à développer un style de management où la composante sociale et affective est de plus en plus présente, les relations extra-professionnelles encouragées, forcément on s’attache.

Comment le manager doit-il gérer la naissance d’un couple dans l’entreprise ?

Encore une fois les histoires de couple, sur le papier, cela ne regarde pas l’employeur… Le code du travail n’interdit d’ailleurs pas d’entretenir une relation personnelle avec un collègue. Cela serait considéré comme une atteinte à la liberté individuelle. Dans les pays anglo-saxon c’est une autre musique moins romantique. Un règlement intérieur d’entreprise peut stipuler que c’est interdit. Cela a d’ailleurs valu à Brian Krzanich, PDG d’Intel, de démissionner en juin 2018, même si la relation était parfaitement consentie et aujourd'hui le poste du patron de McDonald
En France il est « interdit d’interdire» une relation, mais le manager, rompu à prévenir plutôt qu’à guérir, se demandera « Qu’est-ce qui risque d’arriver dans l’équipe ? » * (article 9 du Code civil « Chacun a droit au respect de sa vie privée », et article L. 1132-1 du Code du travail)
  • Anticiper les conséquences d’une éventuelle ruptureLa fin éventuelle d’une relation amoureuse est une période et une situation critique que le manager doit gérer et à laquelle il doit se préparer. Tout d'abord en anticipant les problèmes qui pourraient survenir en cas de rupture. Une réorganisation des postes et des responsabilités pourrait alors se justifier. Il doit aussi être conscient qu’une rupture peut conduire une des personnes à démissionner.
Image

Embrassades ou disputes au grand jour

En fait, il ne devrait rien arriver de grave. D’une manière générale, il n’est pas rare que la relation amoureuse au travail soit même une source de motivation supplémentaire. Bref, tout va mieux quand on s’aime ! Voilà c’est dit. Sauf que ça peut déraper… quand les intéressés mélangent relation affective et professionnelle, entremêlant horaires, attitudes, etc. Embrassades ou disputes au grand jour, soupçon de favoritisme si l’un des amoureux est un supérieur hiérarchique… Bizarrement, la joie initiale peut, sans certaines précautions, virer à l’isolement, aux tensions, disputes, à la jalousie, voire au départ pur et simple d’un des salariés sinon des deux ! Il arrive même que l’équipe au complet explose, car chacun avait choisi un camp. Pour prévenir de telles extrémités, on peut féliciter les amoureux en leur glissant tout de même quelques règles. Mais avant d’oser leur en parler, mieux vaut être sûr de l’information. Avoir appris l'existence de cette relation par une tierce personne n’est pas une garantie de vérité. Peu s’en faut ! Les commérages, les rumeurs infondées, ou la volonté de porter préjudice, impliquent une très grande vigilance. L’intervention du manager n’est souhaitable que si les intéressés ont eux-mêmes rendu publique leur relation soit verbalement, soit par des attitudes sans équivoque (baiser public… lors d’un pot). Pas question de convoquer untel et de lui asséner « Alors, selon Martine, qui le tient de Pierre, il paraît que vous êtes avec… ? ».
  • L’un des amoureux est le chefAlors là… panique à bord ! Vous prenez tous les conseils ci-contre et vous les multipliez par 10 ! Si l’un des membres du couple est manager, la situation est encore plus délicate. Idéalement, il faudrait séparer d’emblée les personnes pour éviter toute jalousie ou tout sentiment de favoritisme. Que la relation de couple se passe bien ou mal, cette situation est embarrassante. Comment promouvoir le concubin sans soupçon justifié ou non de “promotion canapé”. Pourquoi cantonner le concubin(e) à un poste inférieur sous prétexte d’amour… Non, vraiment, la meilleure solution est de séparer professionnellement le couple.

Poser les règles dès le départ

Si l’affaire est dite et connue, la voie est libre pour un entretien avec les personnes concernées. Juste pour poser les règles qui vont les protéger eux d’abord, l’ambiance ensuite et bien sûr la bonne marche de l’équipe.

• La discrétion côté sentiments. Discrétion ne veut pas dire relation cachée. Il faut simplement faire preuve de retenue et évitez toute effusion de sentiments devant ses collègues, tant au niveau des comportements qu’au niveau des expressions verbales. Les petits noms intimes, les allusions, les câlins… sont à proscrire sur le lieu de travail.
• La sobriété côté tension. Pas d’éclats et autres débordements. Même dans une pièce fermée, car les murs ont des oreilles. Les règlements de compte sur fond de relation amoureuse, c’est le malaise assuré !
• L’abstinence. Même si le désir de transgression survient, il est préférable de l’oublier. Se faire surprendre dans une situation compromettante peut entraîner une sanction lourde de conséquence, voire un licenciement immédiat conformément à l’article 9 du Code civil. Le lieu de travail est à proscrire pour vivre ses fantasmes.
• La réserve. Pas de confidences à ses collègues concernant sa relation amoureuse. Le « Je te le dis, mais garde-le pour toi » est plus puissant qu’un email général ! Et votre allié d’un jour est-il fiable ?
• L’esprit d’équipe. Pas de groupe dans le groupe ! Même si l’envie de partager un maximum de temps avec sa partenaire est bien compréhensible, il est important de ne pas changer ses habitudes. Les pauses, les temps d’échanges, les déjeuners, les parties de ping-pong entre collègues doivent-être préservés.
Avant de conclure cet entretien, il convient de vérifier que chacun a bien pris conscience des enjeux, est en accord avec les règles et s’engage à les respecter. Le manager, bien entendu, prendra également soin d’inviter les personnes concernées à venir l’informer si des difficultés pouvaient se présenter et de souligner qu’elles peuvent compter sur sa vigilance pour que tout se passe au mieux.

Que faire quand ça dérape ?

Malgré toutes ces précautions, il peut arriver que la relation dérape. Des signes annonciateurs apparaissent. Les mêmes que ceux d’un couple à la dérive mais en pire puisque le lieu public devient privé. Scènes de jalousies, larmes, prise à témoin des autres salariés pour un camp ou l’autre… Comment réagir ? À faire/à ne pas faire côté manager
Image
- À éviter : Convoquer un salarié sur la base de rumeurs : aïe, vous risquez de déchanter très vite puisque l’intéressé peut nier ou vous rétorquer qu’il ne sait pas de quoi vous parlez, mettant en avant votre intrusion dans sa vie privée.- À faire : On ne convoque que sur des faits avérés et constatés par d’autres membres de l’équipe.

- À éviter : Juger le couple : en cas de mauvais résultats, vous ne pouvez pas incriminer le couple ou le problème de couple. Ce n’est pas à vous de mettre la relation dans le débat, même si c’est là que le bât blesse. C’est aux salariés d’en parler…- À faire : Restez cantonné sur la mission de chaque salarié en le recevant à part. En vous en tenant strictement aux faits (dysfonctionnements, plaintes des clients ou des membres de l'équipe). Vous devez vous assurer que les personnes comprennent et reconnaissent que ce dysfonctionnement n’est pas acceptable et obtenir, en les responsabilisant, leur engagement à modifier leurs comportements. Il est nécessaire de fixer un délai et de convenir d’un prochain rendez-vous d’évaluation. Selon le cas, il est aussi possible de leur demander si une aide est souhaitable pour atteindre cet objectif. Si la relation de couple est dénoncée par le salarié comme nocive pour la mission, vous pouvez envisager sérieusement une séparation de poste, un travail sur des projets différents, voire les changer de service.
- À éviter : Entrer dans la danse. Veillez à ne pas jouer le rôle du sauveur ou de conseiller conjugal. N’entrez pas dans un jeu psychologique à trois.- À faire : Quelque soit la raison du conflit de couple, il est conseillé de travailler en priorité avec celui qui semble le plus fragilisé par la situation. Se sentir entendue et comprise permettra à la personne de se libérer émotionnellement et peut-être de relativiser la situation. Ne pas insister si le problème devient complexe et en référer à une autorité supérieure. Ne vous enlisez pas dans le problème sous peine d’en faire partie. L’autorité supérieure sera plus libre d’agir en fixant les attentes par écrit, voire en sanctionnant.

L'avis de l'avocat

Image
par Alain Besse, avocat
Le Code civil, en son article 9, évoque le droit au respect de la vie privée, qu’il s’agisse de la vie en entreprise en tant que salarié ou employeur. Il interdit ainsi implicitement à l’employeur de s’immiscer dans la vie privée des autres, et d’exclure une relation au sein de l’entreprise.Une décision de la cour de cassation du 10 juin 1982 a été rendue en ce sens, en précisant qu’une clause stipulant que les conjoints ne peuvent pas être employés dans la même entreprise n’est pas valable.Les effusions d’amour au travail devront toutefois être proscrites. Ainsi, en cas de dérives avérées, l’employeur pourra estimer être en droit de sanctionner ses salariés trop démonstratifs. On pensera par exemple aux salariés qui viennent de rompre et qui occasionnent un trouble manifeste sur le lieu de travail et qui dans certains cas peuvent entrer dasn le cadre de l’obligation de l’employeur de prévenir les actes de harcèlement sexuel (article L.1153-5 du Code du travail).De même, l’employeur doit s’assurer que les amants ne pratiquent pas de discrimination. Sur le plan juridique, celui-ci doit donc veiller à ce qu’ils ne s’avantagent pas mutuellement.Ainsi, l’employeur dispose désormais de moyens juridiques pour lutter efficacement contre les dissensions causées par les couples en entreprise.Il peut à ce titre recourir tant au licenciement qu’à l’avertissement, voire à toute autre sanction qu’il jugera appropriée à la situation de faits particulière rencontrée.Quoi qu’il en soit, l’ employeur doit avoir un intérêt légitime à agir.Pour cela, le comportement d’un salarié doit directement porter préjudice à l’entreprise, voire constituer un manquement grave aux obligations découlant de son contrat de travail pour que le licenciement soit justifié. L’employeur doit être en mesure de prouver que le comportement du salarié a créé un trouble caractérisé dans l’entreprise.Aussi, le seul fait d’avoir une relation amoureuse entre salariés ne peut aucunement justifier un licenciement à lui seul, faute de préjudice réel existant.Enfin, la sanction infligée en cas de relation amoureuse entre collègues de travail devra indubitablement rester proportionnelle au préjudice causé (article L.1121-1 du Code du travail).Au quotidien, ni Cupidon ni briseur de couple, l’employeur se doit donc de rester vigilant quant à l’évolution des relations entre ses salariés, et savoir faire, avec discernement, la part des choses avant d’agir en droit.
Patrick Cherruau
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire