"Le modèle de la jardinerie est encore à réinventer"
Sébastien Attina veut “réveiller la belle endormie”... Le PDG de Truffaut a un oeil frais sur le monde de la jardinerie. Une vision décalée … et respectueuse à la fois. Une détermination et une énergie à bouger les montagnes, mais rien ne se fera sans l’avis des salariés. La saisonnalité du marché ? Oui, et alors ? Il compte en faire une force. La concurrence des GSB et des pure-players ? Pas grave mais il faut bien redessiner le périmètre de Truffaut. La croissance des ventes ? Oui, mais pas forcément en ouvrant des magasins…
Sébastien Attina, Bio Express
Sébastien Attina, 44 ans, diplômé de l’ICN Business School, est un spécialiste du secteur retail depuis vingt ans. Après des débuts dans le secteur alimentaire chez Lidl en 2004, il poursuit son évolution dans le monde du jouet en intégrant l’enseigne Toys’R’Us en 2008 avant de rejoindre le groupe Adeo. En 2011, il est nommé directeur régional de Bricoman et se voit confier la direction générale en 2014. C’est en novembre 2021 que Sébastien Attina rejoint Truffaut en qualité de Président directeur général.
Zepros Habitat : Après sept ans à la tête de Bricoman, vous avez rejoint Truffaut… Est-ce par passion pour le jardin ?
Sébastien Attina : Je suis avant tout passionné par le commerce et la grande distribution. Ceci depuis mes premiers pas en hypermarché pour mes jobs d’été lorsque j’avais 16 ans. L’arrivée chez Truffaut, c’est surtout un retour dans le BtoC avec lequel j’ai fait mes premières armes [N.DL.R : Lidl, Toys “R” Us). Et le BtoC en retail, c’est quand même autre chose ! Truffaut, c’est le projet qui faisait le plus sens pour moi. Toujours dans l’univers de l’habitat, avec une belle marque premium dans un secteur au cœur des préoccupations des habitants. Finalement, un enjeu en continuité avec Bricoman mais aussi très différent.
Z.H :Grosso modo, vous en aviez marre des pros ?
S. Attina : Non, c’est passionnant les pros, le bâtiment, surtout en France. Le marché est complexe, avec de magnifiques compétiteurs pour la plupart de stature mondiale. J’ai beaucoup appris et pris énormément de plaisir. Je suis aussi très heureux de là où nous sommes arrivés avec Bricoman. Les équipes ont effectué un travail incroyable que peu imaginait possible en 2014 ! Quant à moi, le champ des possibles est beaucoup plus grand en GSS et les enjeux sont nombreux. Dans l’alimentaire je n’aurais pas aujourd’hui la même confiance à imaginer clairement un chemin vertueux possible.
Z.H :Teract et Casino tentent de le faire…
S. Attina : Oui, ils vont essayer quelque chose d’encore plus ambitieux et plus complexe que simplement faire pivoter le retail alimentaire pur et dur.
Z.H :De son côté, que cherchait Truffaut ?
S. Attina : C’était la fin d’un cycle, avec des départs à la retraite successifs. À partir des fondations fortes de Truffaut qui ont fait l’histoire – on parle tout de même de deux siècles – l’attente est donc de construire un avenir à long terme avec beaucoup de cohérence autour d’une raison d’être très forte. La société mue vers plus de responsabilités et d’engagements autour de la nature et Truffaut, qui a justement des « assets » très forts autour de la nature, doit pouvoir trouver son utilité durable.
Z.H :Avez-vous des objectifs chiffrés à tenir ?
S. Attina : L’idée consiste avant tout à construire avec les équipes un projet cohérent et bien orienté. Cohérent au sens de sa propo- sition de valeur homogène, et utile pour l’ensemble de l’écosystème. Bien orienté pour pouvoir nous développer sereinement, avec un impact que nous souhaitons toujours plus positif. Nous devons veiller à ne pas nous disperser et vouloir tout faire.
Z.H :Quels sont les contours nets ou redéfinis de Truffaut ?
S. Attina : Je ne dis pas que les contours ne sont pas nets, ils sont percutés en permanence par d’autres acteurs. D’ailleurs il y a une spécificité étonnante du secteur de la jardinerie qui n’existe pas sur d’autres marchés : les jardineries ne sont pas leaders de leur marché, alors que ce sont les enseignes de sport qui sont leaders dans le sport et les GSB qui dominent le bricolage. Mais le marché du jardin, lui, est partagé par les GSB sur le manufacturé, les GSA sur le pet food, etc. Quant aux jardineries elles-mêmes, elles offrent un panorama original avec quelques grands acteurs nationaux et surtout des centaines d’indépendants qui font très bien leur travail. Truffaut doit trouver son chemin vertueux. Il faut donc écrire notre histoire avec des contours par endroit nouveaux, en cohérence avec nos fondations, très qualitatives et très solides.
Si dans quelques années on dit que Truffaut est une belle qui n’est plus endormie… alors nous aurons gagné.
Z.H :Quels sont les autres freins ou particularité de ce business ?
S. Attina : Le modèle économique est très particulier, avec des magasins coûteux à cons- truire du fait des installations spécifiques (serres, sols perméables, verrières, animalerie, etc.) et de grandes ambitions sur les soins que nos équipes apportent quotidiennement aux animaux et aux végétaux. Nos équipes sont passionnées et talentueuses, elles sont surtout très techniques et porteuses de certificats rigoureux et indispensables. Tout ceci est une gestion bien complexe et un engagement quotidien. C’est tout de même un marché sur lequel il est bien difficile de venir poser un réseau de magasins, de racheter, dupliquer… C’est d’ailleurs peut-être pour cela qu’on dit que Truffaut est une belle endormie.
Z.H :On vous dit que Truffaut est la belle endormie ?
S. Attina : Oui, Truffaut est souvent présenté ainsi. Sans doute aussi en rapport à l’âge de l’entreprise. C’est un peu pompeux de le dire comme cela… mais notre rôle avec les équipes est de la réveiller pour continuer à écrire les décennies à venir.
Z.H :Vous êtes venu embrasser la belle endormie…
S. Attina : [sourire] Si dans quelques années on dit que Truffaut est une belle qui n’est plus endormie… alors nous aurons gagné. Je crois surtout que le modèle de jardinerie est encore à réinventer sur les décennies à venir. On voit bien que tout le monde se questionne. Je n’ai pas toutes les réponses aujourd’hui. À la fin de l’année, on pourra se revoir avec plus d’éléments car nous avons lancé une démarche Vision auprès de nos 3 000 collaborateurs, mais aussi nos clients et fournisseurs/partenaires. En tout cas, nous voulons nous reposer toutes les questions pour connaître le modèle de jardinerie des dix années à venir.
Z.H :Quid dans ce modèle de cette notion de météo-dépendance ?
S. Attina : Quand on fait des mois de janvier et février plutôt moroses, sans pluie pendant quatre ou cinq semaines comme cette année, le business est malmené tout de suite. Mais j’ai envie de dire qu’il n’y a pas beaucoup de business totalement météo-indépendants.
Z.H : On vient de faire le tour des points irritants du marché de la jardinerie mais quel est au final l’atout principal de ce marché ?
S. Attina : C’est avant tout le plaisir. Le client vient dans une jardinerie pour se faire plaisir… Ça, c’est le plus fondamental. Nous avons 17 % de nos clients qui viennent chez nous juste pour se promener comme s’ils allaient au parc de loisirs.
Z.H : Mais ça, ça doit rendre fou un directeur, non ? Car c’est zéro chiffre la promenade…
S. Attina : Non, pas du tout, car le vrai travail est fait. Dans de nombreuses situations du retail, les clients viennent avec une contrainte : « j’ai mon robinet cassé », etc. Chez nous, quasiment un client sur cinq vient par plaisir. Il y a l’impact cérébral du végétal ! À Paris en ce moment, entre les grèves, les bouchons, les poubelles, quand vous arrivez devant le magasin vous avez une petite pépinière extérieure de 200 m², c’est une bulle verte, un endroit de plaisir, de songe, où l’on vient faire des achats qui ne sont pas toujours essentiels mais qui peuvent le devenir, ne serait-ce que pour nos équilibres et notre bien-être. Et ça, c’est un atout incroyable.
Sébastien Attina, Truffaut... et la concurrence
Z. H. : Connaissez-vous les dirigeants des enseignes concurrentes ?
S. Attina : Très bien, nous nous croisons régulièrement à la fédération en tant qu’administrateur. Il y a à la fois d’immenses professionnels de la jardinerie et du retail [N.D.L.R. : Guillaume Darrasse, de Teract, et Luc Blanchet, de botanic®).
Z. H. : Quelles qualités trouvez-vous à leurs enseignes ? De quoi êtes-vous jaloux entre guillemets ?
S. Attina : Je trouve à ces enseignes plein de qualités, de caractère, à Teract sur tous les mouvements tactiques, stratégiques qu’ils essaient de réaliser. C’est innovant, questionnant et ça ouvre une certaine forme de voie. Quant à botanic®, c’est une belle entreprise, bien orientée, bien équilibrée, homogène, avec à la tête une équipe sympathique pleine de bonnes qualités. Mais il y a aussi beaucoup d’autres belles enseignes et énormément d’indépendants talentueux.
Z. H. : Teract mis à part, qui est le leader entre botanic® et Truffaut ?
S. Attina : C’est kif-kif, non ?
Z. H. : Mais en ce moment ils se développent, non ?
S. Attina : C’est parce qu’on leur a donné des jardineries, on les aide ! [rires]
Z. H. : C’est sympa, ils vous remercient mais ils ne sont pas partout dans le pays.
S. Attina : Mais nous aussi on a des trous sur la carte… Plutôt vers chez eux d’ailleurs [rires].
Z.H :Est ce qu’il ya une fidélité, une récurrence du client spécifique à la jardinerie ?
S. Attina : Il y a une forme de récurrence parce qu’il y a l’entretien, le soin des plantes… et puis il y a mieux il y a la montée en compétences. Le rôle de Truffaut est aussi de rendre accessible le jardin avec les prix, le stock mais aussi la pédagogie. Quand vous commencez à comprendre le jardin, vos premières plantations, votre potager… vous ne faites pas les mêmes achats l’année suivante. Vous allez ajouter des achats complémentaires, des graines, du soin, du phyto, du matériel. C’est mieux qu’une récurrence !
Z.H :Est-ce que le partage des expériences positives entre vendeur et client n’est pas un danger quelquefois pour le commerce car on en finirait presque par oublier de faire du chiffre. Est-ce que ce risque existe chez Truffaut ?
S. Attina : Avant tout c’est une chance ! C’est là que nos magasins et nos équipes apportent quelque chose de plus. Nous devons cultiver cela et en faire un atout à 100 %. Le jardin, c’est souvent une question de passion, et des passionnés nous en avons beaucoup ! Mais n’oublions pas nos basiques. Dans cette passion, nous pouvons avoir un petit péché d’orgueil et en oublier un petit peu le commerce. Si on avait une source d’amélioration à l’avenir, ce serait de bien cul- tiver toujours nos deux jambes. La jambe technique, passionnée, experte, et la jambe commerçante.
Un Truffaut se doit aussi d’être démocratique, accessible à tous.
Z.H : Quand vous dites “Truffaut ne doit pas oublier les choses basiques”, à quoi pensez-vous ?
S. Attina : Un Truffaut se doit aussi d’être démocratique, accessible à tous. Nous devons et nous vendons beaucoup de produits pour le jardin vivrier, pour le potager. On a un magasin à Nice, par exemple, dont la clientèle est sur le papier celle, très CSP+, des grandes villas, mais en réalité cette jardinerie vend aussi bien des produits potagers incroyables dans des volumes considérables, à des clients plus ruraux. Et ça, on en est fiers parce que c’est une forme d’utilité avec des produits essentiels et anti-crise.
Z.H : Truffaut ne souffre-t-il pas d’une image luxe, aux prix élevés ?
S. Attina : Si vous rentrez dans le magasin, vous voyez que nous sommes extrêmement compétitifs, capables des deux : de l’exception et du juste prix… Nous pouvons être la Belle et la Bête avec des équipes qui sont capables des deux. Une image « premium » certes, parfois, mais que je ne retrouve pas partout et tout le temps. Nos magasins à Nîmes, à Marseille, à Plan de Campagne, à Aubagne, à Wittenheim, à Colmar, sont très bien implantés dans leur territoire local avec une offre parfaitement équilibrée.
Z.H : Justement, en parlant d’équilibre, rentrons dans la ventilation de votre chiffre d’affaires. Comment se décompose-t-il ? Entre manufacturé, jardin pet food, etc.?
S. Attina : Dans les grandes lignes – une grande majorité – plus de 50 % concerne le jardin, végétal et manufacturé, puis 25 % vient de l’animalerie et 25 % de la maison.
Z.H : Et dans cette moitié jardin, quelle est la ventilation végétal/manufacturé ?
S. Attina : Le végétal représente entre 60 et 70 % du CA jardin. Pour la partie manufacturée, nous avons bien sûr des produits à marques Truffaut pour les rendre accessibles, mais aussi l’expertise à destination des amoureux et des techniciens du jardin pour lesquels tout ne peut pas être qu’une question de prix mais de performance.
Z.H :Quand vous êtes face à votre tableau de commandes de Truffaut avec les manettes végétal (30 % CA), manufacturé (20 % CA), animalerie (25 % CA), et déco/maison (25 % CA), quelle est la conduite à tenir, la stratégie ?
S. Attina : Le végétal restera le cœur et doit grossir chez Truffaut car c’est là que nous sommes les plus légitimes, les plus forts, les plus implantés et les plus difficilement déboulonnables. Le végétal, c’est le poumon de l’entreprise et ça le sera durablement. Notre raison d’être, c’est faire découvrir les richesses et les joies de la nature, pour contribuer à monde meilleur. Donc le végétal se développera avec deux leviers, des produits toujours plus modernes et utiles. Je pense à des plantes plus résilientes à la météo et à la canicule, plus durables, qui permettent de réduire les températures des jardins. Les végétaux peuvent contribuer à cela et nos gammes doivent bouger dans ce sens-là. Elles doivent aussi évoluer pour permettre aux Français de s’alimenter, de comprendre le jardin vivrier, d’être plus accessible en prix.
Z.H :Quelle est la clé pour faire baisser les prix en végétal ? Un sourcing massifié ?
S. Attina : Non, le plus important c’est la proximité. Les magasins Truffaut, les directeurs de magasin, les chefs de rayon sur le marché aux fleurs et sur le végétal, ont totale liberté pour s’approvisionner au plus proche du magasin, trouver les bons produits, les bonnes familles. C’est notre clé de fraîcheur. Une de mes premières visites, c’était au magasin d’Althen-des-Paluds, près d’Avignon. Le directeur Mathieu m’explique pourquoi il n’a pas commandé l’arbre fruitier de notre catalogue national pour privilégier l’arbre fruitier d’un producteur voisin. L’arbre était plus beau, plus puissant, qui plus est élevé à côté sous leurs yeux, ce qui donnait aux vendeurs tous les meilleurs arguments pour mieux le vendre. Tout cela a beaucoup de sens en fait, ce n’est pas que de la com’.
Z.H : Mais est-ce que quand on réalise un catalogue national, le devoir de cohérence n’est pas de le suivre ?
S. Attina : La centralisation des achats, qui ramène de la massification, ne passera pas par le végétal et le marché aux fleurs chez Truffaut. La main, le pouvoir, l’expertise doit être en magasin. On a des personnes de talent, on a des personnes compétentes techniquement et ça, il faut le garder durablement. Dans le cas d’Althen, les équipes ont fait le job !
Z.H : Pour terminer avec ça, cela veut dire que vous n’allez pas créer de nouvelles pépinières ou racheter Desmartis ?
S. Attina : Non, nous en avons à la marge chez Truffaut mais ce n’est pas notre job et on ne veut pas le développer. Notre rôle n’est pas de tout faire, mais de permettre à notre écosystème de se compléter avec des fortes valeurs ajoutées. S’il y a un meilleur faiseur que nous, il faut qu’on fasse en sorte que ce meilleur faiseur travaille avec nous en physique ou digital, via la marketplace. Nous n’avons pas vocation à vouloir être hégémonique, surtout.
Z.H :Intéressant… Cela veut dire que votre marketplace va se développer ?
S. Attina : Se réorienter même ! Elle doit offrir, sur des métiers où on veut ne pas être, des acteurs plus forts que nous. Par exemple, nous ne souhaitons pas être par le végétal ou la nature un spécialiste de la santé, de la cosmétique ou du sport. D’autres le font mieux. Donc il se peut que dans l’avenir notre écosystème, physique magasin ou marketplace, travaille en collaboration avec d’autres acteurs qui partagent une partie de notre raison d’être. Truffaut est une belle marque qui peut être l’écosystème hébergeant d’autres belles marques d’enseignes… et inversement.
Z.H : Pouvez-vous donner des exemples de marketplaces d’enseignes. Avec qui ? Natures et Découvertes ?
S. Attina : Je ne peux pas vous donner de nom parce qu’on commence tout juste, mais la règle est très simple : dès lors qu’on aura parfaitement défini notre projet, nous ferons des choix très rigoureux en ce sens. Voyez notre offre : le cœur ce sont les végétaux, le manufacturé, les animaux. Au-delà de ce cœur de métier, il y a potentiellement de belles marques de retail comme celle que vous avez citée, mais on peut en citer d’autres dont la présence serait très cohérente sur notre marketplace. Et que nous soyons sur la leur.
Z.H :Pourquoi pas dans d’autres grandes marketplaces généralistes ?
S. Attina : Aujourd’hui, il n’est pas d’actualité de se retrouver sur une marketplace généraliste en France.
Z.H :D’accord pour la marketplace, mais dans les magasins physiques, peut-on imaginer un corner chez Truffaut d’une autre enseigne ?
S. Attina : On peut l’imaginer… Nous pouvons tout imaginer : des programmes de fidélité qui s’alignent avec d’autres enseignes pour faire des parcours clients plus complets, un Truffaut dans un hypermarché – ce que l’on teste actuellement dans un Cora. Il ne faut pas qu’on reste sur nos 60 points de vente car ce n’est pas suffisant. Mais en même temps, nous n’aurons pas le projet d’ouvrir des centaines de magasins, ça n’a pas de sens aujourd’hui. Bien sûr nous en ouvrirons là où c’est pertinent, mais il y a par ailleurs suffisamment de solutions alternatives physiques ou digitales où Truffaut pourrait trouver sa place sans ouvrir de magasin.
Z.H :Vous parlez du test Cora… En quoi consiste-t-il ?
S. Attina : Aujourd’hui, c’est un mini-corner de quelques dizaines de mètres carrés ou Truffaut est présent avec un offre jardin. Nous allons réorienter ce test avec d’autres formules pour amener plus d’utilité aux clients. Mais Truffaut accessible via des partenaires physiques, cela nous plaît aussi car cela répond à notre raison d’être qui, je vous le rappelle, est de faire découvrir la nature.
Z.H : Pour rester sur cet exemple, cela voudrait dire que la saisonnalité n’est plus un problème mais un atout… puisque vous la gérez pour le compte d’autrui ?
S. Attina : Mais est-ce qu’une enseigne forte sur son cœur de métier, qui est saisonnier, doit passer son temps à essayer de combattre sa saisonnalité ? Je ne le crois pas. Pas plus que je ne crois que nous devions nous évertuer à essayer de rentrer des produits qui font perdre à notre enseigne de la cohérence et de la puissance sous couvert de désai- sonnalisation. In fine, le risque, c’est un concept un peu fade, qui se perd… une attractivité client qui diminue. Pour les dix ans à venir, notre orientation sera sans doute d’être forts sur nos fondamentaux, en vivant bien décomplexés notre saisonnalité mais avec des modes de distribution un peu différents.
Je suis un consommateur éphémère de la jardinerie, c’est-à-dire essentiellement au printemps, donc pourquoi est-ce qu’on voudrait m’imposer dans mon parcours des produits qui n’ont rien à voir avec mon désir
Z.H : On pourrait même dire que cela correspond aux expériences de jardineries éphémères ?
S. Attina : Le comportement des clients peut être éphémère. Moi par exemple, je suis un consommateur éphémère de la jardinerie, c’est-à-dire essentiellement au printemps, donc pourquoi est-ce qu’on voudrait m’imposer dans mon parcours des produits qui n’ont rien à voir avec mon désir, ce n’est pas cohérent… Nous devons travailler sur des sujets natures qui dépassent la saison et là, nous serons parfaitement utiles.
Z.H : Mais pourquoi pas des opérations éphémères alors ?
S. Attina : Pourquoi pas. Mais pas à n’importe quelles conditions. Nous devons respecter la qualité Truffaut et nos engagements. En saison, nos équipes passent un temps de dingue à expliquer aux clients et à les conseiller techniquement. Il y a quelques mois j’étais au magasin de Montpellier avec Marie-Pierre au rayon phytosanitaire : j’ai voulu lui parler mais j’ai dû laisser passer cinq clients qui faisaient la queue pour la voir, elle précisément, parce que c’est elle l’experte. Ils venaient avec des feuilles pour diagnostiquer le problème de leur plante. C’est ça l’expérience Truffaut. Marie-Pierre œuvre depuis des années, elle a été formée, elle en a formé d’autres. Dans des magasins pop-up saisonniers, l’enjeu serait de créer ces mêmes conditions de partage avec le client. Pas facile.
Z.H :Est-ce que l’expertise de Marie-Pierre, ces heures de conseils sont rentables ? Comment évaluer ce que ce temps a rapporté ?
S. Attina : Ce qu’elle rapporte est colossal, parce que les gens viennent la voir ! Et l’expérience des clients qui rentrent avec un problème et qui repartent avec une solution durable est colossale. Ils sont attachés à l’enseigne, à Marie-Pierre. C’est notre joyau, nous ne devons pas perdre toutes nos Marie-Pierre.
Z.H : Que pensent les équipes de ces réorientations possibles ?
S. Attina : Nous avons lancé dans l’entreprise une grande démarche Vision en mars que nous avons baptisée “Cap vers 2030”. À destination de 3 000 collaborateurs, nos fournisseurs, des clients et le reste de l’écosystème, notamment des associations. Cette démarche sera terminée à l’automne. Je voulais vraiment un travail collectif. Tous aborderont tous les sujets. Ces périodes de questionnement sont à la fois enthousiasmantes et stressantes. Nous avançons pas à pas.
Z.H : En attendant, revenons aux autres secteurs d’une jardinerie, l’animalerie ou la déco. Ils représentent la moitié de votre CA… Comment se comportent ces marchés ? Est-ce que c’est quelque chose sur lequel vous allez accélérer ou pas ?
S. Attina : Nous n’allons pas lâcher l’animalerie, durablement, parce que cela correspond avant tout à notre projet nature. Le rôle de l’animal, la perception de l’animal dans la famille, tout cela contribue à l’écosystème. En plus d’être très cohérent avec notre raison d’être, l’animalerie et surtout le pet food présente deux vertus : celle de procurer du business toute l’année pour le coup mais aussi de nous permettre de servir une clientèle complètement différente, que nous pouvons transférer sur le jardin.
(Sur le petfood), nous souhaitons rester sur nos engagements et faire notre métier. Il faut que les industriels fassent le leur. Nous sommes prêts à faire des choix forts.
Z.H : A ce propos que pensez-vous de l’offensive du pet food en ligne avec des produits habitués des jardineries vendu bien moins chers ?
S. Attina : C'est un problème pour les jardineries et les distributeurs physiques en général. Nous nous investissons beaucoup pour apporter de la valeur ajoutée en magasin, aux clients « pet food », conseils, SAV, stock etc. C’est le rôle de distributeur que nous assumons mais pour cela nous devons conserver un intérêt, des marges et celles-ci disparaissent vite. Si rien ne change, à la fin ce sera aussi le problème des industriels et peut-être aussi celui des clients.
Z.H : C'est un message ?
S. Attina : Oui c'est un message fort, que j'ai déjà eu l'occasion de passer à certains directeurs de grandes marques et que je repasserai. Notre valeur ajoutée c’est le conseil, l'accueil, la disponibilité, du stock tous les jours. Tout cela a une valeur et cette valeur-là, il faut qu'on la retrouve sur nos marges évidemment. Vous allez au magasin, parfois il y a 100 m² offerte à une marque de Pet Food sur laquelle on a des vendeurs et toutes les charges du magasin. Ceux-ci organisent beaucoup d'événements durant l'année avec des associations dont la SPA pour des adoptions. C'est un écosystème que ne créera jamais, un site web aussi qualitativement que ça. Nous jouons notre partition au service de l’ensemble. Nous ne pouvons pas le faire seul.
Z.H : Mais, vous aussi vous vendez de l'animalerie du pet food en ligne, donc ces industriels risquent de vous retourner le compliment.
S. Attina : Oui mais nous ne faisons pas du dumping de prix sur le web, on a les mêmes prix. La différence est là et on continue d'investir sur le magasin. Le client peut toujours venir et prendre des conseils en magasin… Aujourd’hui, franchement, si on ne trouve pas une solution, il n'y aura plus de pet food de grande marque en physique dans 10 ans en Europe et cela pourrait amener des dommages collatéraux sur d’autres familles de produit.
Z.H : Est-ce que la solution n’est pas de produire vous-même du pet food ?
S. Attina : Nous le faisons déjà. Mais les grandes marques amènent autre chose. Truffaut a toujours été leur partenaire. Notre projet n’est pas de devenir le Décathlon ou le Ikea de la Jardinerie. Nous ne saurions pas faire. Nous aimons rendre accessible les plus grandes marques pour la nature ou les animaux. C’est notre job.
Z.H : N’est-ce pas l’occasion d’encourager de nouvelles marques, de jeunes pousses du pet food, locales
S. Attina : En effet c’est un terrain de jeu que nous pratiquons. Nous pensons que c’est aussi notre rôle mais aujourd’hui on parle de 2 segments de marché bien distinct. Pour les grandes marques l'avenir du pet food dans les jardineries, c'est plus les industriels qui l'ont entre leurs mains que les jardineries. En tout cas, nous souhaitons rester sur nos engagements et faire notre métier. Il faut qu'ils fassent le leur. Nous sommes prêts à faire des choix forts.
Z.H : Quelle est votre position sur les 25 % du CA qui restent, à savoir la décoration ?
S. Attina : C’est un marché très cohérent pour Truffaut parce que cela fait vivre le jardin différemment. Lorsque qu’on ne jardine pas. On parle chez Truffaut de la vie au jardin. C’est lorsqu’on y télétravaille, quand on s’y repose, ou lorsqu’on y joue… en famille, entre amis. Lorsqu’on y déjeune sur du mobilier Truffaut, c’est totalement cohérent… Là encore, la déco, oui, mais pas toute la déco et il ne faut pas qu’on se perde.
Z.H :Vous avez des idées de domaines dans lesquels vous vous êtes perdus ?
S. Attina : Ce n’est pas toujours aussi radical que cela, mais parfois ce sont les contours de périmètres qui vont peut-être un peu loin aujourd’hui. Je pense au jouet, à l’épicerie, au textile. Sur ces périmètres, le champ des possibles est encore important en le rapprochant de notre raison d’être. Les équipes commencent à foisonner d’idées sur le sujet.
Z.H :Nous sommes dans le magasin des Batignolles qui est un test de centre-ville. En êtes-vous satisfait ?
S. Attina : Nous ne sommes pas encore pleinement satisfait. Sur les petites surfaces de centre-ville – Batignolles, Bastille, Montparnasse – il faut poursuivre le test. Nous n’avons pas encore trouvé toutes les clés d’une utilité forte pour les Français. Donc, et entre guillemets, “on manque de succès”. Ce n’est pas grave mais nous avons conçu ici des mini Truffaut. Nous devrons aller vers plus de caractère. Pas un mini Truffaut, ni un moyen Truffaut, mais quelque chose de plus radical, avec moins d’”un petit peu de tout”. Il faut augmenter plus fortement notre utilité et qu’on puisse développer le modèle qui est entre 1 000 et 2 000 m². En revanche, nous somme convaincus que nous avons raison de chercher et nous nous investissons beaucoup.
Z.H :Et 1 000 m² ou 2 000 m²… vous n’ouvrez pas plus petit ?
S. Attina : En dessous, on n’y arrive pas, nous avons d’ailleurs fermé le petit magasin du BHV en janvier. Là-bas nous avions quelques centaines de mètres carrés. Mais la proposition de valeur n’y était pas pour les clients.
Truffaut est une belle marque qui peut être l’écosystème hébergeant d’autres belles marques d’enseignes… et inversement.
Z.H :Est-ce que la franchise peut vous aider à développer les petits magasins Truffaut ?
S. Attina : Pour développer une franchise, il faut un concept solide. Duplicable. C’est un appel aux capitaux et à l’entrepreneuriat pour aller plus vite. Sur le modèle urbain nous n’y sommes pas encore… En revanche, nous ne sommes pas contre l’idée de nous développer en franchise sur le concept qu’on maîtrise le mieux : le magasin de périphérie des grandes villes françaises avec 6 000-8 000 m2.
Z.H :Quels nouveaux services pouvez-vous rendre à vos clients ?
S. Attina : Il faut que demain nous puissions aider un client à faire une plantation, une récolte, une taille à travers une prestation de service Truffaut. Quand je suis arrivé, j’ai mis en stand-by un grand déploiement d’un partenariat service avec des start-up du métier, mais c’est parce que je voulais d’abord poser la gouvernance, poser le projet et que nos équipes soient concentrées sur cela. Maintenant, nous allons relancer ce projet sur un modèle de plateformes d’intermédiation. Il faut qu’on trouve celles qui nous correspondent le plus, les plus alignées avec nos valeurs. Nous ne pouvons pas être un simple retailer qui achète des produits et qui les revend. Quand je dis que nous sommes un tiers de confiance, c’est pour faire un petit peu plus, pour former, pour aider. Comme avec nos tutos pédagogiques avec notre cher Pierre-Adrien, mais aussi avec d’autres. Ils ont des nombres de vues incroyables !
Z.H : Combien le e-commerce représente-t-il de votre chiffre d’affaires ?
S. Attina : Pas grand chose, c’est largement en dessous des 5 %. Pour deux raisons. La première est que l’on n’a pas tourné nos investissements par le passé sur ces sujets-là. Et la seconde, c’est parce que dans notre métier, le client a envie de venir en magasin. Il a envie de venir voir et toucher et donc il y a quand même une forme d’inertie. Je ne dis pas que les jardineries ne se digitaliseront pas, nous y allons à fond, mais on note quand même un comportement un peu différent. Chez Truffaut, les clients font l’achat sur Internet et une fois qu’ils sont sur le parking, ils veulent rentrer ! Ce n’est pas un simple “collect” car ils complètent leurs achats systématiquement dans le magasin… Mais on ne va pas les en empêcher ! Donc le site permet de préparer ses achats, regarder les prix et préparer son panier… mais le magasin concrétisera. Voilà pourquoi nous devons également conserver des magasins plaisants inspirants, beaux et agréables.
Z.H :En termes de marge nette, qu’est-ce qui rapporte le plus à un magasin Truffaut : le végétal, l’animalerie, le manufacturé ?
S. Attina : C’est le végétal. Je ne vais pas vous donner de chiffres, mais c’est le végétal…
Les dix ans de la Fondation Georges Truffaut
Z. H. : La Fondation Georges Truffaut a dix ans. Quel est son avenir ?
S. Attina : On investit sur la Fondation Georges Truffaut. C’est très fort dans l’entreprise. Les collègues qui rejoignent Truffaut peuvent vraiment contribuer à cette fondation, il y a des ambassadeurs dans chaque magasin, et chaque magasin peut porter un projet avec une association locale, avec une mairie ou autre, et donc on fait des choses vraiment très concrètes. Nous avons récolté plus de deux millions d’euros qu’on a déjà redistribués, donc ça, c’est vraiment palpable. C’est pas du “bullshit”, c’est concret et j’ai vu, moi, des hôpitaux avec des enfants dans un service cancéreux qui pouvaient faire venir leur animal de compagnie dans un jardin réalisé par Truffaut.
Z.H :Quid de vos engagements RSE ?
S. Attina : Chez Truffaut, nous n’appelons pas cela la RSE, mais nos impacts positifs. En la matière nous avons profité de 2022 pour concrétiser l’écriture de notre plan à cinq ans avec comme triptyque de lecture notre utilité, à nous, aux autres et à la planète. Ce triple regard guide tous nos choix. Notre écosystème profite aussi de l’action de notre fondation, la Fondation George Truffaut (lire encadré). Celle-ci est concentrée sur le jardin avec déjà une décennie d’actions très concrètes. C’est une fondation qui est implanté au cœur de la vie de l’entreprise, avec des ambassadeurs dans chaque magasin et des projets en proximité de nos points de vente afin d’en garantir le suivi. Toujours sur le sujet, nous avons bénéficié en 2022 d’une belle certification B Corp qui nous honore. Une première pour une jardinerie en Europe !
Z.H :Quelles ont été les réactions à votre arrivée chez Truffaut ? Vous n’êtes pas du sérail… Avez-vous créé un mouvement de panique ?
S. Attina : Même si l’entreprise regorge de nombreux passionnés techniques, l’entreprise sait accueillir depuis d’autres horizons. Les équipes sont toutes conscientes que l’on est face à un monde qui bouge, avec de nombreux enjeux, et qu’il faut projeter Truffaut et la jardinerie vers un futur probablement un peu nouveau. Pour cela, nous aurons besoin de nos fondations fortes mais également de regards nouveaux. Ces changements- là apportent chez certains de l’enthousiasme et chez d’autres un peu d’appréhension, c’est tout à fait normal. Tout ceci dans une période post-Covid et une conjoncture pour le moins pas facilitante. Notre rôle est de piloter tout ça. J’ai confiance dans l’avenir.
Z. H. : Pour nos lecteurs qui seraient peut-être intéressés, est-ce que Truffaut recrute ?
S. Attina : Oui, à tous les niveaux, au siège comme en magasin. Nous avons beaucoup de projets, et la démarche Vision va nous en amener encore des nouveaux dans des filières diverses. Par exemple en digital, RH, vente…
Z. H. : Au final, êtes-vous heureux d’être arrivé dans le jardin ?
S. Attina : Très heureux, c’est un univers plaisant, zen. Avec des passionnés aussi bien dans nos équipes, mais aussi nos clients et nos fournisseurs. Tout ceci crée un environnement très spécial, très différent. Et quel plaisir de se trouver en magasin !
Z. H. : Je ne vous imagine pas jardinier…
S. Attina : De plus en plus [rire], ça c’est sûr ! Je suis plutôt jardinier de l’intérieur, du balcon, de la terrasse et du rebord de fenêtre. l