Thierry Anselin, dg Cofaq : « Je ne pensais pas vivre cela »
Publiée dans le dernier numéro de Zepros Habitat, les confidences du directeur de COFAQ SA qui a vécu la crise Covid du printemps le jour confiné au siège . Retour d’expérience pour ce féru de voile qui a vécu la traversée d’une tempête.
Où étiez-vous à titre personnel pendant ce confinement ?
Je suis resté au siège 7 jours sur 7 avec notre directeur financier et Patrick Jacobs. Les 128 autres collaborateurs étaient en télétravail. Au début, il régnait une angoisse folle, quand on y réfléchit. Nous étions seuls dans 2500m2.
Quel a été votre première réaction à l’annonce du confinement?
Côté Bricopro, nous fermons trois jours puis, pour répondre aux besoins de nécessité, certains rouvrent en drive, soit en comptoir, soit en livraison parking, dans des conditions souvent difficiles, beaucoup d’autres ont aussi décidé de laisser leur LS ouvert, pour les pros et le particulier selon les règles sanitaires en vigueur. Ils ont réalisé à grand renfort d’énergie leur chiffre d’affaires et réussit même à avoir de nouveaux clients.
Pas de mot d’ordre de la centrale pour la fermeture ou l’ouverture ?
Notre seul mot d’ordre a été de soutenir économiquement les adhérents et de leur permettre de continuer à avoir du stock dans leur point de vente. Nous avons ouvert une hotline pour les aider dans la mise en place du chômage partiel, pour les guider au milieu des injonctions un peu contradictoires du gouvernement. On est restés « collés » à nos adhérents en permanence en visio vec huit conseils d’administration, 19 comités stratégiques d’enseigne et quatre à cinq visios par jour avec le comité de direction, les collaborateurs..
Le réseau Bricopro a-t-il beaucoup souffert en termes de CA?
À fin mai, pas un magasin ne nous a dit : c’est la catastrophe. Ils étaient quelque fois en drive ou en LS ouvert en mode dégradé avec une équipe de collaborateurs volontaires, des horaires différents. Malgré ces conditions, ils ont réalisé un CA exceptionnel, avec plus de fréquentation et un panier moyen bien supérieure à la normale. J’ai des adhérents qui ont fait + 100% par rapport à N-1 sur l’activité B to C.
Mais comment étaient-ils livrés?
Par les plateformes de Bobigny, de Naintré, de Châteaubriant que nous avons rouvertes avec tous les problèmes que vous imaginez… Suspicion de Covid pour l’un, départ en Samu pour un autre. Je me suis déplacé dans les plateformes pour rencontrer les salariés, leur rappeler de travailler avec toutes les précautions évidemment.
En quoi ne serez-vous plus jamais comme avant?
Je ne pensais pas vivre ça dans ma carrière après 40 ans dans le métier. Et c’est pas fini… Aujourd’hui, je prends plus de recul. En général, quand on gère des équipes, on une fâcheuse tendance à regarder ce qui n’est pas fait ou ce qui va mal tandis que là, la tendance est de regarder le collaborateur différemment… À l’encourager. On est plus proche. Nous devons gérer des situations jamais vues.
Comme quoi par exemple ?
Nous avons des personnes qui ont eu peur, certaines pleuraient… Je ne pensais pas vivre de pareilles scènes. Par ailleurs, les femmes qui représentent 60% de l’effectif sont mamans, souvent institutrices à la maison, et assuraient le télétravail. À leur retour j’ai débriefé cela… À l’avenir, on différenciera la notion de « Je gère l’entreprise » et « Je vis l’entreprise ».
Avez-vous eu de bonnes surprises dans le télétravail ?
Beaucoup m’ont dit : « J’ai pu aller sur des dossiers de fond car je n’étais pas dérangé ». Je peux vous dire que ma première réaction a été de me dire : nous avons construit de beaux bureaux pour améliorer la productivité… et voilà que le salarié travaille mieux chez lui. Du coup, je m’interroge sur la répartition des tâches, les lieux de travail même au sein de l’entreprise… qu’est-ce qui est utile ou inutile ?
Économiquement, n’avez-vous pas été pris de panique au début ?
C’est un choc, l’économie s’arrête… Cela m’a rappelé mon arrivée chez COFAQ avec la crise de la LME, sur fond de celle des subprimes. Dans ce genre de situation, il faut être présent, avoir les idées claires, rester calme et agir. Je me suis dit : nos adhérents doivent rester debout, on les aide en accompagnant ceux qui ont besoin d’un prêt, en étalant notre échéance du salon de 65 millions d’euros, en réalisant des avances de trésorerie sur la commande des masques, visières et gants, notamment pour nos enseignes Master Pro et SECUROM.
Qu’est-ce que cette crise a révélé des défauts et qualités de COFAQ?
Elle a été un accélérateur. On va à l’essentiel. Quand il faut lever les freins, nous ne mettons pas un an à le faire… On se dit les choses plus librement aussi.
La crise a-t-elle été une opportunité au final ?
Oui, elle devient un point de référence en lieu et place de nos 11 ans de succès. On peut le regretter mais au final, c’est une opportunité. Un livre s’est fermé. C’est comme si je venais d’arriver dans une nouvelle entreprise (rires). Par ailleurs, elle a permis de montrer notre capacité d’aide et les adhérents en sont reconnaissants. À quelques semaines de l’assemblée générale, c’est important. Coconstruire a pris encore plus de sens dans cette période.
Quel message pour tous les salariés?
Un grand bravo, car ce sont des travailleurs de l’ombre et pour beaucoup ils ont vécu quelque chose de difficile en faisant trois métiers chez eux; ils ont rendu des copies avec des dossiers qui ont énormément avancé. Un grand bravo à nos adhérents bien sûr. Ils ont su garder le lien avec leur client malgré des situations très difficiles.
Et à titre personnel, que retiendrez-vous de cette période ?
Simplement, j'ai pu observer la solidarité des hommes et des femmes qui m'entourent, chacun dans sa spécialité. Des échanges via les réseaux sociaux très riches et qui ont permis de créer des liens que nous n'imaginions pas. Des craintes pour nos proches et évidement pour nos collaborateurs, et une bienveillance allant même dans la signature des mails – « prenez soin de vous » – à méditer.