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Spécial Table Ronde #2 : le marché devient plus «premium», plus «pro»

Pierre Dieuzeide
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Table ronde

Voici  le premier débat de nos invités autour du thème  de l'outillage et de sa montée en gamme ou autrement dit la fin (supposée) de l'outillage  à petit prix et jetable. Quoique...  (photos: Joachim Tournebize)

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Zepros Habitat : Est-ce qu’au Secimpac, qui représente les fabricants, vous constatez ces tendances baissières du marché ? (question après la présentation de GfK)

Philippe Donnet, Secimpac et TTI : Oui, même s'il y a un décalage entre les marchés pro (construction) et ceux du grand public. Les premiers se sont plutôt bien défendus en début d’année, mais nous constatons qu’eux aussi s'arrêtent. Nous avons même noté des scores négatifs sur ce marché pro depuis l'été. Côté grand public, la baisse de 17 % relevée par GfK corrobore les données du Secimpac, même si par rapport à 2019, tout cela reste positif. Et côté canal de distribution, vous avez cité des sociétés comme Amazon qui continuent leur percée et leur montée en puissance... Pour résister, nous devons regarder un peu plus loin que sur le court terme et les opérations promotionnelles, et nous inscrire dans des stratégies de marque.

Z. H. : On a parlé des GSA et des circuits comme Lidl qui cartonnent. A-t-on une idée de leurs ventes avec Parkside ?

Hervé Duchêne, chef de groupe bricolage, mouvement Leclerc, GSA et GSS : [sourires] On a une idée car Lidl achète en Chine, comme tout le monde, et il n'y a pas 50 usines qui peuvent répondre aux besoins de volume de Lidl. On sait via les usines chinoises ce que Lidl peut vendre, et c'est beaucoup.

Z. H. : Justement, chez Leclerc, quelle est votre stratégie en GSA ? Inspirée par Lidl ? Avec des produits très pro à petits prix ?

Hervé Duchêne : Non, nous profitons plutôt de notre expérience en GSB pour avoir des offres typées plus GSB en hypermarché, mais on ne va pas jusqu'au pro. Milwaukee nous serait interdit, par exemple. Pour revenir sur Amazon et les pure-players, ils ont cassé les codes des marques pro. À partir du moment où Internet a vendu des marques pro, il est devenu compliqué d'expliquer au client pourquoi il ne les retrouvait pas en GSB et encore moins en GSA.

Z. H. : Chez Brico Dépôt, vous servez les deux publics pro et grand public. Est-ce qu'il il y a une demande de clients particuliers qui montent en compétences ?

Yann Bathany, responsable Marché Outillage Brico Dépôt : De mon point de vue, la différence est très poreuse entre un consommateur lambda et un pro, le grand public veut se faire plaisir et il veut un outil qui marche et très souvent. L'outil pro vient renforcer la qualité du travail et le résultat. Et effectivement, les consommateurs ne comprennent pas pourquoi sur des canaux comme Amazon on trouve de grandes marques internationales pro et pas dans les réseaux classiques de GSB.

Z. H : Donc, vous aujourd'hui, vous vendez du Bosch Bleu ?

Sylvia Lopez, directrice Marché Technique Brico Dépôt : [sourires] On s'adresse aux deux typologies de clientèle, avec côté gros bricoleurs, comme nous les appelons, des personnes qui ont besoin d'outils fiables. Donc dans notre stratégie, nous avons fait le choix de marques dédiées aux professionnels, mais sans avoir un panel aussi large que celui que l'on peut trouver en négoce ou sur le web.

 « Du premier, premier prix, on n'en trouve presque plus en outillage, les gens en sont revenus. » Xavier Bailo

 

Z. H. : Vous la constatez aussi chez Rondy cette montée en gamme ?

Xavier Bailo, directeur général du Groupe Rondy : Oui, du premier prix, on n'en trouve presque plus en outillage, les gens en sont revenus. Avec le digital, il n'y a plus de logique. Je n'aimerais pas être une très grande marque parce qu'aujourd'hui pour expliquer à des distributeurs pourquoi telle ou telle marque ne peut pas être présente chez eux alors qu'elle est sur le Web... Je pense que le grand public n'a pas forcément les moyens financiers mais qu'il est prêt à monter en gamme. Des enseignes comme Lidl font très mal, on voit des rayons entiers de leurs produits dans les usines en Asie. Quand nous, à notre petit niveau, on commande 5000 perceuses et qu'ils en passent 50 000, 80 000 ou même 100 000 sur un one shot... Et on a de la chance que pour l'instant des enseignes comme Action ne s'y mettent pas eux aussi car grâce à la baisse du pouvoir d'achat, ils attirent du monde et ont 1500 magasins. Mathématiquement, cela fait des commandes énormes.

 

Z. H. : Surtout qu'ils ne jouent pas que le prix… Chez eux aussi on constate cette montée en qualité…

Xavier Bailo : Aujourd'hui, je pense que nous sommes tous unanimes. Si on est objectif, les produits de certains discounters sont d'un bon rapport qualité-prix. Sinon on mentirait : on connaît les usines, on connaît les composants… C'est fini de dire « c'est cheap et ça ne servira que pour les travaux d'une semaine ».

 

 

Philippe Donnet : Encore une fois, il faut raisonner utilisation. Les produits professionnels vendus en circuit grand public sont pour une utilisation grand public, avec des cartels prix qui sont ceux du grand public, en dessous de 200 €. Donc aujourd'hui, c'est juste un gâteau qui se scinde encore plus, mais la part du pro dans les enseignes ne dépasse pas 15 %. Un professionnel aujourd'hui veut un produit qui va être dispo, réparable, du service. Est-ce que les GSB ont pour vocation d'ouvrir partout à 7h00 comme peut le faire Brico Dépôt ? Avec les problématiques de sobriété énergétique, je ne peux pas répondre à la place d’un distributeur, mais je ne pense que l’on aille vers cela.

Z. H. : Nous avons appris que chez Leroy Merlin on jugeait les marques aux avis clients au point de mettre à mal des grandes marques de type Bosch sur certains produits verts…

Philippe Donnet : En fait, ce qui s'est passé dans l'outillage, cela remonte à l'introduction d'Amazon en France et à la grosse poussée sur l'outillage en 2014. Le groupe Leroy Merlin en particulier a mené un bras de fer avec le groupe Bosch, disant « c'est Amazon ou c'est nous » et Bosch a fait le choix d'Amazon. Ils avaient une stratégie internet très affirmée et sont sortis en sans fil de chez Leroy Merlin. Ce n'est pas un problème de qualité, ils ont fait des choix, en tant que leader du marché, qui étaient de passer un message à Bosch. La stratégie internet va accélérer le développement d'Amazon. C'est ce qui se passe déjà : la marque Bosch pousse énormément le développement d'Amazon en France. Mais je pense de mon côté qu’on a une chance en France, qui est d’avoir des distributeurs forts, à l'inverse des autres marchés européens, réduisant ainsi la part d'Amazon. Il faut qu'on préserve ce jeu d'équilibre qui est important pour nous, tant pour les industriels que pour les distributeurs. Il faut sortir des stratégies de court terme : si on ne sait pas fidéliser un client avec des stratégies claires, nous laissons le champ libre à Internet. Après, chacun évolue et aujourd'hui le Web est incontournable pour les marques, mais il faut avoir une stratégie prix associée et qui permet à tout le monde de tenir ses marges.

Z. H. : Y a-t-il de la demande pro chez BBJ Leclerc ?

Hervé Duchêne : Oui, mais je pense qu'on occulte quelque chose : la restriction du marché moyenne gamme. Même les artisans aujourd'hui vont acheter du premier prix « jetable » pour l'utiliser sur leurs chantiers et d'un autre côté, le client particulier peut se faire plaisir en achetant quelque chose de qualité. Du coup, la part de marché des produits moyenne gamme se réduit au profit des deux extrémités.

 « La part de marché des produits moyenne gamme se réduit au profit des deux extrémités. » Hervé Duchêne

 

Z. H. : Vous constatez aussi une « premium…isation » des produits chez Espace Emeraude ?

Laurent Tricoire, directeur des services et innovation Espace Emeraude : Nous sommes des magasins à dominante rurale, plus dans une vente de produits destinés aux pros, au milieu de la terre, aux collectivités, aux paysagistes. Nos clients particuliers misent aujourd'hui sur le durable et le réparable. Nous avons cette force dans le réseau d'avoir un SAV disponible dans tous nos magasins et toutes les compétences nécessaires au niveau de nos ateliers de réparation. Nous avons fait le choix d'abandonner tous les produits non réparables.

Sylvia Lopez : On est aussi sur des années assez particulières, marquées par le Covid-19, et nous avons constaté que les grandes marques ont fait mieux que les MDD ou les marques d'entrée de gamme. Les clients qui avaient un besoin de bricolage se sont portés vers des produits plus haut de gamme, d'où une certaine « premiumisation ».

 

Z. H. : On nous a annoncé que certains produits « professionnels » qui ne se vendaient pas avant pour le particulier avaient enregistré des scores records. Comme les défonceuses dont les ventes ont explosé de 47 % !

Sylvia Lopez : C’est vrai, même si, historiquement, nous avons toujours été portés vers les gros bricoleurs, qui avaient déjà une expertise. On le constate sur des produits comme des marteaux perforateurs. Je pense aussi que la crise sanitaire a permis à de nombreuses personnes qui ne s'en sentaient pas capables de se lancer dans des travaux plus techniques, grâce aux tutos et au temps disponibles. Donc oui, il y a ce mouvement-là, il était déjà présent chez nous, mais il s'est accéléré. On ne sait pas encore si cela durera lorsque le marché sera complètement rouvert.

 

Z. H/ : Avec la baisse de pouvoir d'achat amorcée, il devrait y avoir de plus en plus de bricoleurs qui feront eux-mêmes leurs travaux plutôt que de passer par un pro …

Sylvia Lopez : C'est l'essence du bricolage de faire soi-même car cela fait faire des économies. Pour autant, il faut une certaine expertise. Les tutos, c'est bien, mais bon… cela ne remplace pas l'expérience.

Z. H. : Et pourquoi avec ce type d'outil ne pas se tourner vers la location ?

Sylvia Lopez : Pour des produits comme une rainureuse, on constate que la location n'est pas forcément privilégiée. Ce ne sont pas des objets si coûteux… Et quand on s'inscrit dans la rénovation complète d'une maison comme le font beaucoup de nos clients, si on se projette sur plusieurs années, l'achat reste une piste privilégiée. Maintenant, si vous voulez juste refaire une terrasse, la question de la location peut se poser...

Z. H. : Dans le monde parallèle à l'outillage des colles et mastics, ressentez-vous aussi ce côté professionnalisation et montée en gamme ?

Caroline Bonhomme, directrice des grands comptes Henkel : Si nous nous comparons avec les acteurs de la peinture avec qui nous cohabitons dans les rayons, nous sommes certes en baisse à deux chiffres en volume, mais en valeur, nous finissons à - 2 ou - 3 %, ce qui dans le contexte actuel n'est pas si mal. Et nous aussi, chez Henkel, avons profité du manquement et des problèmes d'approvisionnement des fournisseurs de MDD dans pas mal d'enseignes. Nous avons suppléé à cela, ce qui nous a permis de prendre de la part de marché, donc oui, en ce sens, le marché s'est premiumisé. Sinon, les grandes enseignes qui ont plus d'espace pour s'exprimer réservent toujours des corners typés pro et nous arrivons à marketer des produits avec la caution « qualité pro », ce qui là encore permet de premiumiser le marché, notamment sur des catégories plus techniques comme les mastics d'étanchéité.

Pierre Dieuzeide
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