La valeur made in France en hausse (Table ronde jardin #3)

Pierre Dieuzeide
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Table Ronde

La demande de produits français, voire locaux, est sortie largement renforcée de la crise sanitaire. Si les produits potagers sont majoritairement produits dans l’Hexagone, pour d’autres secteurs il peut être difficile de s’approvisionner en France.

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L’œil de Roland Motte

The plante to be...

« On veut consommer local, mais les plantes viennent de toute l’Europe, voire de plus loin pour les fleurs coupées. Après le Covid, la demande de plantes a explosé mais il y a de moins en moins de producteurs en France. Côté chiffres, selon Val’hor, 61 % des végétaux d’extérieur achetés en France sont cultivés dans notre pays mais seulement 15 % des fleurs coupées sont françaises. Est-ce possible de produire en totalité en France et comment faire ? Les pépinières Kerisnel produisent 98 % de leurs végétaux en France. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada ou même la France commencent à faire de la production locale, pour essayer de commercialiser des fleurs coupées locales, mais ce n’est pas gagné. Les roses à la Saint-Valentin par exemple vont poser problème, sauf à déplacer la Saint-Valentin en juin ! Là, on pourrait vendre des roses produites en France. Le tout local a également ses limites parce que certaines plantes comme les rhododendrons qui se cultivent en Bretagne ne pourraient pas être
produites dans le Sud... »

Zepros Habitat : Est-ce que le made in France et le local sont une réelle demande de vos consommateurs ?

Florence Valcke, botanic : Bien sûr. Il y a le made in France, mais souvent cela ne suffit plus... La force du local a pris un coup d’accélération depuis le Covid, c’est même une « valeur produit » qui a pris, pour certains consommateurs, le pas sur le bio. Ils associent au local tout un éventail de valeurs, en amalgamant parfois producteur local à production naturelle sans pesticides. Nos clients sont également très sensibles au soutien des producteurs, on dit « nos emplettes font nos emplois ».

Karine Lagier, InVivo Retail : Nous sommes très attachés au made in France parce que c’est dans l’ADN du groupe InVivo. Sur le végétal, nous achetons d’ores et déjà, tous végétaux confondus, 66 % en France et plus de 90 % sur le potager et la serre froide. C’est moins vrai sur les produits manufacturés. Parmi nos engagements RSE, nous avons affiché l’ambition d’arriver à 90 % d’achat français en végétal. Cela implique des choix un peu différents sur les achats parfois, mais aussi d’accompagner une relocalisation de la production. Là où la production française est très faible, c’est sur les végétaux intérieurs et sur les fleurs coupées. Tous, autour de la table, nous achetons essentiellement aux Pays-Bas, donc il s’agit d’un sourcing européen, mais surtout les producteurs y sont très performants sur le plan économique et logistique. Cette performance rend la relocalisation en France plus challengeante. C’est notre ambition, mais cela prendra du temps.

Zepros Habitat : Est-ce une stratégie RSE ou plus globale ?

Karine Lagier, InVivo Retail : Notre démarche RSE ne se limite pas au made in France, elle touche à l’écoconception plus globale de nos produits. Dans tous les développements de nos marques propres, nous avons une grille de notation RSE multi-critères dont font partie le lieu de production et l’empreinte carbone. Malgré tout, nous faisons face à de vrais dilemmes car nous devons répondre à tous les besoins des consommateurs et que pour certains, l’aspect économique va primer. Mon sentiment, en tous cas, c’est que la crise Covid s’est traduite par un rejet du grand import. Les produits qui traversent la planète, ça choque davantage les consommateurs aujourd’hui qu’il y a deux ans.

Catherine Jousse, Truffaut : Oui, aujourd’hui le consommateur est beaucoup plus sensible à la durée de vie et la traçabilité des produits. Il attend que l’enseigne soit davantage engagée et vigilante sur la qualité des produits sélectionnés. Nous devons travailler ce sujet en étroite collaboration avec nos fournisseurs. Cependant on constate que nos clients sont encore tiraillés entre leurs envies de consommer sans contrainte et de consommer responsable.

Florence Valcke, botanic : La période Covid a pu faire naître une peur des consommateurs de manquer de certains produits, conduisant à une prise de conscience de certaines dépendances à une production mondiale. C’est aussi cela qui a conduit à cette envie de production locale ou française.

"Les produits qui traversent la planète, ça choque davantage les consommateurs." Karine Lagier

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Karine Lagier et Florence Valcke
Zepros Habitat : 15 % des fleurs coupées seulement sont produites en France. Ira-t-on vers plus de production France ?

Catherine Jousse, Truffaut : Nous n’avons pas tant de demandes de consommateurs que cela sur des fleurs coupées produites en France, à partir du moment où les plantes proposées sont belles et de qualité. Sur les réseaux sociaux, il y a eu récemment avec la Saint-Valentin un reportage sur la problématique de l’importation des fleurs coupées, je pensais que ça allait être une explosion avec des retentissements sur nos réseaux sociaux. Étrangement, ce ne fut pas le cas. Pour autant je sens qu’il y a quand même petit à petit une sensibilité qui se développe, et nous avons un devoir de transparence sur la provenance des végétaux. Et là, on a besoin de l’aide des fournisseurs et des producteurs.

ChezZepros Habitat : Leroy Merlin, vous affichez l’origine France sur votre appli... Dans le jardin aussi ?

Céline Vanthournout, Leroy Merlin : C’est une démarche qui est transverse. Quel que soit le produit, nous avons une vraie volonté de donner son origine et d’emporter tout le monde avec nous, dont les fournisseurs, dans une démarche de production beaucoup plus écoresponsable. Et oui, nous avons un gros challenge sur la data de nos produits pour savoir précisément d’où viennent les produits et pouvoir l’afficher pour le consommateur.

Zepros Habitat : Chez Apex justement, le concept made in France, quand on est issu de coopératives, ça doit parler?

Marc-André Jouen, Apex : Oui, évidemment, et comme botanic, nous avons la sensation que l’origine France ou Europe prend le pas sur le bio. Pour nos semences, c’est même une demande de beaucoup de nos clients. Nos adhérents ont développé de plus en plus de produits du terroir issus des coopératives, et ça a énormément de succès. Par exemple en Bretagne, le « récolteur » va chercher les produits sur 20 km autour du magasin, donc là, c’est hyper rassurant. Ce qui est étonnant, c’est que les consommateurs associent le made in France à la qualité de façon presque aveugle. Pourtant la qualité de certains produits locaux peut laisser à désirer, mais parce que cela vient de près, ça rassure ! Il faut y être attentif, attention à ne pas mettre du made in France partout... Il y a aussi des fournisseurs qui, parce que le produit est empaqueté en France, écrivent « Conditionné en France », ce qui peut à terme
desservir le marché des produits français...

Raymond Tanguy, BBJ Leclerc : Sur le manufacturé, la motoculture, les piscines, aujourd’hui c’est difficile pour le consommateur d’acheter français. Quant au mobilier de jardin, nous sommes pieds et poings liés avec les im- portations chinoises. On peut commencer à acheter du mobilier de jardin français, avec une valeur produit nettement supérieure à l’import... Se pose alors le problème de volumes et de quantités, donc tout cela va prendre du temps. Lorsque le consommateur va commencer à vouloir vraiment acheter du made in France sur différentes familles de produits du jardin, le réveil va être un peu brutal. Je pense que les fournisseurs, les distributeurs et les pouvoirs publics vont devoir s’associer pour réindustrialiser la France sur certaines familles de produits.

"Nous souhaitons acheter en France de plus en plus et pourquoi pas réindustrialiser." Franck Mauxion, OLG

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Franck Mauxion, OLG
Zepros Habitat : Chez OLG, le bois français, c’est une réalité ?

Franck Mauxion, OLG : Avec la crise du bois que nous connaissons, nous avons commencé à racheter du bois en France... et nous sommes confrontés à plusieurs problèmes. Par exemple, il est difficile de trouver du bois adapté à la fabrication de nos produits. Pour le jardin, nous avons besoin de bois qui ont une pousse lente, le bois des Vosges s’y prête. Si nous avons réussi à obtenir des prix convenables, nous avons souffert du peu de volume disponible. Nous souhaitons de plus en plus acheter sur la France et pourquoi pas un jour réindustrialiser. En revanche, pour construire nos abris, le bois ne peut pas provenir de France. Il vient d’Estonie, des pays baltes, de Scandinavie où les pousses sont extrêmement lentes. Le bois sera en partie traité dans nos usines à l’étranger mais pourrait être assemblé ou
packagé en France. Il faut être très honnête et précis sur la communication : ce n’est pas parce que
le produit est assemblé en France que le bois est français. Nous n’avons aucun problème à répondre à nos clients sur la provenance de notre bois. Ce sont nos sources, nos propres usines et donc nous en sommes fiers.

Zepros Habitat : Chez Nortene, vous avez sorti cette année des voiles d’hivernage fabriqués en France ?

Olivier Morel, Nortene : Oui, il y a un drapeau bleu-blanc-rouge dessus. Nous sommes un industriel européen avec des usines d’extrusion plastique en Espagne, en Italie et dans l’Hexagone. Ces voiles français sont un bel exemple de réindustrialisation puisque nous avons réussi à trouver de la matière première française et de la confection française sur des produits pourtant à faible valeur ajoutée, et plutôt travaillé en grand import. Nous l’avons fait à marche forcée afin de pouvoir répondre à une demande de certains de nos clients, comme botanic notamment. Dans un laps de temps court, c’est difficile... mais c’est faisable.

"La force du local a pris un coup d’accélération, [...] une valeur produit qui a pris le pas sur le bio pour certains." Florence Vackle, botanic

Zepros Habitat : Faisable donc sur d’autres familles ?

Olivier Morel, Nortene : Oui, sans doute, mais il faut apporter de l’innovation à ces produits, avec par exemple un travail sur la durabilité ou encore sur les matériaux qui va justifier d’une plus grande valeur du produit pour le consommateur. Donc c’est une réflexion au cas par cas, en mesurant l’impact environnemental des produits et de leur approvisionnement, sachant d’ores et déjà qu’aujourd’hui, quand nous répondons à des appels d’offres, nous proposons quand c’est possible une offre vertueuse européenne et française et une offre plus traditionnelle pour que nos clients puissent choisir la meilleure option en fonction de leur positionnement et de l’offre qu’ils souhaitent.

Marc-André Jouen, Apex : Quant au prix, il ne faudrait pas se dire que parce que c’est français, ça devrait être plus cher. C’est un mauvais message qui passerait auprès des fournisseurs. Je suis convaincu que le consommateur s’arrêtera à un moment si vraiment les prix deviennent aberrants...

Raymond Tanguy, BBJ Leclerc : Nous venons de terminer les négociations commerciales avec un contexte particulier cette année. L’an dernier, le Covid a entraîné une forte envie de consommer ; maintenant, ce qui en découle... c’est l’inflation. Nous achetons nos abris de jardin 30 % plus cher. Mais l’équation que je ne connais pas, c’est « jusqu’à quel prix le consommateur aura envie de consommer ».

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Raymond Tanguy
Zepros Habitat : Comment se positionne Bricomarché sur cette question du made in France ? On sait que vous poussez à produire des MDD en France...

Hachemi Bouredjli, Bricomarché : Nos adhérents sont très ancrés dans le tissu local. Il est fondamental, pour eux, de pouvoir proposer des produits et des équipements régionaux. Pour le végétal, on a beaucoup travaillé avec la production française, mais si on élargit les achats aux espaces extérieurs, à la vie au jardin, on ne trouve que très peu de produits fabriqués en France – soyons honnêtes – même en élargissant à l’Europe. Pourtant, le made in France a beaucoup de sens et on en est convaincu! Ces produits ne doivent pas mentir, être sincères en termes de durabilité, positionnés avec du sens et le prix juste correspondant. Par ailleurs, la présence de produits de seconde vie répond à une demande d’une partie de nos consommateurs... Mais je ré-insiste: le jardin est très en retard, je ne parle pas de la production du vivant, mais sur tout le reste.

Pierre Dieuzeide
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