Nous irons tous au potager... (Table ronde jardin #2)
Il ne cesse de progresser. Lui, c’est le potager, la star des jardins, des terrasses ou même des balcons, en campagne comme en ville, et ce depuis déjà quelques années. Un phénomène boosté par la crise sanitaire, avec des ventes de semences qui se sont affolées. Alors, tendance durable ou pas ? Et si oui, comment développer le rayon et accompagner les jardiniers néophytes ?
L’œil de Roland Motte
Potager potajeune
« Ça bouge au potager depuis un moment, une tendance qui s’est amplifiée pendant le confinement. Chez les anciens, le potager est vivrier et productif, on le connaît. Mais les jeunes s’y mettent aussi car il est porteur de valeurs, de l’envie de bien se nourrir de produits cultivés à proximité. En revanche, on constate une rupture des connaissances : le mildiou qui attaque les tomates, cela ne parle pas aux jeunes. Les pros ont aussi fortement développé les rayons potagers, l’idée étant de rapprocher l’alimentation du consommateur. Et à l’étranger ? Shirley Link, directrice de Newpark, une organisation gouvernementale qui gère à Singapour les 3 000 hectares des 350 parcs urbains de la ville, a lancé depuis 2005 la “communauté en fleurs” dans le but de rapprocher des jardiniers qui créent ensemble des potagers. En France, nous avons des exemples de personnes qui prêtent leur jardin et les coachs potagers fleurissent. À Osaka, alors qu’il manque cruellement de place pour construire, on trouve tout de même des par- celles de jardin de 10 m2. Pour 100 €, vous pouvez avoir votre potager. Et puis à New York, le restaurant Bell Book and Candle produit sur son toit avec des tours hydroponiques 60 % des légumes à la carte, ça fait fureur. Les potagers sur les toits de Paris, cela donnerait quoi ? Il y a environ 800 000 m2 de toiture exploitable. En sachant qu’un bon jardinier produit environ 4 kg au m2, on pourrait donc nourrir 53 333 Parisiens en fruits et légumes maison ! »
Laurent Le Goc, Mr.Bricolage : Oui, nous avons connu l’euphorie de la période Covid aussi bien sur les carrés potagers, que sur le terreau, et évidemment sur les semences et les plants. Notre approche de proximité avec des magasins à taille humaine nous a permis de séduire de nouveaux clients qui cherchaient du conseil et des services.
Hachemi Bouredjli, Bricomarché : Oui, avec deux profils majeurs d’acheteurs : le jardinier traditionnel qui vient à des moments précis et qui sait quoi prendre, et un nouveau profil de consommateur qui ne sait pas quoi choisir. Nous essayons d’accorder un vaste espace au potager dans nos magasins pour lui proposer des offres accessibles, des associations de produits pour qu’il puisse réussir ses projets. Dans nos points de vente, le vendeur doit monter en compétences, changer de logique essayer de regrouper tous les produits nécessaires à la culture du potager.
Céline Vanthournout, Leroy Merlin : Oui, désormais, nous avons la volonté de nous déployer plus largement sur le potager, qui répond à une vraie attente de nos consommateurs. Un des axes forts mis en place passe par la connexion que nous pouvons avoir avec l’écosystème en local, c’est-à-dire avec les paysagistes locaux ou les coachs jardiniers du coin. Nous donnons la main à chaque magasin pour aller travailler cet écosystème en local afin d’être au bon niveau de pédagogie car nous sommes convaincus que c’est la clé du succès.
Florence Valcke, botanic : Je trouve que c’est plutôt une bonne chose parce que nous sommes tous préoccupés par l’environnement ; botanic a eu des convictions plus tôt, ce qui nous donne sans doute plus d’expérience dans les alternativesnaturelles, mais c’est dans le sens de l’histoire de pouvoir accompagner les jardiniers dans cette direction. Concernant les néo-jardiniers dont nous parlions, leur motivation est pour nous une pépite. Nous avons collectivement une vraie responsabilité : celle d’accompagner ces nouveaux consommateurs, et si nous le faisons bien, c’est la part du marché global qui va augmenter.
Karine Lagier, InVivo Retail : Le potager et l’autoproduction, c’est l’ADN de Gamm vert. Pour autant, c’est un marché qui intéresse également nos deux autres enseignes pour répondre aux évolutions du marché. La crise sanitaire à fortement accéléré ce mouvement vers le potager. Et même si les consommateurs seront moins dans leur jardin qu’au printemps 2020, nous pensons que des habitudes ont été prises, et elles devraient perdurer. Dès lors, nous nous attachons vraiment à répondre à tous les jardiniers, nos jardiniers experts, nombreux chez Gamm vert. Ils ne cultivent pas un petit carré de jardin mais souvent un potager de 200 à 300 m2 qui permet de nourrir toute la famille. Parallèlement, nous avons effectivement de plus en plus de néo-jardiniers, des néo-autoproducteurs qu’il faut accompagner d’une façon complètement différente parce qu’ils manquent de connaissances, ils ne sont pas outillés. Outre les plants et les graines, les autoproducteurs vont aussi devoir s’équiper pour bien produire. Ils vont avoir besoin d’être épaulé. Et même si le Web se développe très fortement, on sent quand même qu’ils ont un besoin de recherche de solutions, de contacts, de conseils. C’est là que les circuits spécialisés ont encore de belles opportunités pour tirer leur épingle du jeu, en accompagnant notamment ces néo-jardiniers, tout en proposant à nos clients un parcours omnicanal sans couture.
"Avec l’abandon des produits phytosanitaires, il faut réapprendre à préparer la terre, même aux anciens." Marc-André Jouen
Marc-André Jouen, Apex : Nous menons déjà des actions depuis longtemps, notamment avec les écoles. Pendant la Semaine du goût par exemple, nous travaillons pour amener les enfants à découvrir le monde du jardin. Aujourd’hui, nous retravaillons nos concepts de jardineries Magasin Vert avec notamment la mise en place de plus en plus d’ateliers pour informer nos futurs « potagistes ». Compte tenu de l’abandon des produits phytosanitaires nocifs pour la terre, c’est toute une éducation que nous devons refaire, même auprès des anciens, parce qu’il faut leur réapprendre à préparer la terre. Les plus jeunes sont sensibles au respect de la planète, nous arrivons plus facilement à leur dire « si vous voulez une belle pelouse, vous devez la nourrir pendant l’hiver, pour la terre de votre potager nourrissez-la maintenant ». Ils se disent « c’est vrai, mes grands-parents faisaient ça ». Les anciens ont été
habitués à des solutions curatives immédiates...
Olivier Morel, Nortene : Ça c’est un point sur lequel nous avons beaucoup travaillé avant la crise Covid, avec des groupes de jardiniers, pour comprendre comment on pouvait passer du jardin curatif au jardin préventif, surtout au potager. Les produits Nortene sont plutôt dans le domaine de la lutte mécanique et nous devons refaire de la pédagogie auprès de tous les jardiniers, même historiques, parce que le réflexe d’un jardinier était plutôt curatif et relativement peu préventif. Nous insistons toujours sur le fait qu’avoir un potager ou cultiver ses fruits et légumes, c’est un parcours d’erreur, un parcours d’essai... Et c’est pour ça que l’accompagnement est important, c’est le rôle d’une marque comme Nortene.
Céline Vanthournout, Leroy Merlin : Nous, en tant que GSB, nous partons d’un peu plus loin que les jardineries sur le sujet. Pour incarner cette culture en interne, nous nous sommes associés à des spécialistes de la permaculture, nous sommes allés former en région tous les collaborateurs des magasins sur la fresque du climat, sur l’impact de l’écologie sur nos jardins. Nous sommes dans cette étape d’apprentissage de nos collaborateurs en interne, parce que nous sommes convaincus que c’est également ce qui va leur donner envie d’agir localement...
Karine Lagier, InviVo Retail : Toutes ces solutions sont complémentaires. Notre rôle, c’est de donner le choix au consommateur, en fonction du moment, du sujet et de son niveau d’expertise, d’aller chercher un tuto sur Internet, d’aller sur les réseaux sociaux ou de venir dans nos magasins parce qu’il a envie à ce moment-là d’un échange avec un expert qui va l’accompagner. Nous devons être présents sur ces différents supports pour épauler le consommateur et c’est vrai que les réseaux peuvent se développer fortement dans ce sens, mais ils ne viennent pas remplacer les services, ils viennent selon moi en « complément ».
Laurent Le Goc, Mr.Bricolage : Le tuto fonctionne très bien sur Internet, c’est indéniable. Il est indispensable pour aider à appréhender les bases d’un projet, avoir des informations spécifiques. En magasin, nous proposons, dans nos espaces Entraide, des animations collaboratives au cours desquelles des associations, des passionnés, des artisans, des fournisseurs, viennent partager du savoir ou des expériences. En ce qui concerne le jardin, des ateliers tondeuse, potager, sont organisés par nos magasins ainsi que des temps de partage entre particuliers qui échangent astuces et bonnes pratiques.
Raymond Tanguy, BBJ Leclerc : Je pense que le bricolage a très bien pris le virage d’aide au consommateur pour simplifier la mise en œuvre. On voit de nombreux sujets sur YouTube expliquant comment poser son parquet, etc. Le bricolage s’est mis à la portée de tous. Ce type d’action est encore à développer ans le jardin. Il y a beaucoup de potentiel, mais on est un peu en retard. La différence entre le bricolage et le jardin, ce serait l’aspect temps, parce que le végétal a besoin de temps pour pousser, tandis que le bricolage se fait plus rapidement. Si dans la semaine je décide de changer mon parquet le week-end, je le fais, tandis que je suis obligé d’attendre la pousse de mes végétaux. Dans un monde digital où l’on veut tout, tout de suite, en un clic de smartphone, c’est sur cet aspect qu’il faut approcher le consommateur et lui faire un peu de pédagogie sur le fait que le jardin nécessite un peu plus de temps.
"Désormais, Leroy Merlin a la volonté de se déployer plus largement sur le potager, qui répond à une vraie attente de nos consommateurs." Céline Vanthournout, Leroy Merlin
Catherine Jousse, Truffaut : Nous constatons que nous avons les deux profils. Le jardin reste une pratique principalement individuelle dans les environnements urbains ou périurbains. Mais on constate également le développement de jardins solidaires dans lesquels les gens prennent plaisir à se retrouver et à partager leurs bonnes pratiques. Certaines personnes éprouvent de grandes difficultés sur le plan psychologique ou professionnel. Le jardin a une vertu thérapeutique qui permet la rencontre, le lien social (plantation, récolte, dégustation collective). À travers les dépôts de projets auprès de la Fondation Georges Truffaut, on constate l’évolution des créations d’associations, avec de beaux projets que nous prenons soin d’étudier et de soutenir pour la plupart. Les résultats sont formidables.
Raymond Tanguy, BBJ Leclerc : Oui, on peut l’imaginer. Dans le mouvement E.Leclerc, nous bénéficions d’une grande force : localement les adhérents sont très proches du consommateur et en même temps des petits producteurs par la création d’alliances locales. Aujourd’hui, ce sont des belles initiatives que de mettre à disposition des parcelles de terrain au profit des consommateurs. On pourrait envisager d’aller développer cette relation dans le mouvement Leclerc...