Y'a plus de saison, ma brave dame... (Table ronde jardin #1)
Sécheresses à répétition, hivers de plus en plus courts... Une réalité qui impacte forcément les jardiniers. Qu’en est-il côté gammes et rayons des enseignes ? Nouveaux produits ou saisons plus longues, enseignes et fournisseurs sont bien obligés de s’adapter...
L'oeil de Roland Motte
Y'a plus de saison !
« On a beaucoup parlé du dérèglement climatique, beaucoup moins du rapport du Giec qui tire la sonnette d’alarme sur cette urgence climatique, il y a d’autres priorités. Côté jardin, le dérèglement climatique a des impacts concrets sur les plantes. J’ai planté un olivier dans les Vosges, ce n’est ni le climat ni le terrain adapté, mais il pousse toujours. On cultive désormais du Chardonnay en Angleterre, ce qui n’est pas très rassurant. Depuis 2015, tout le monde sait que la hausse des températures s’accélère, cela devrait nous interpeller car nous sommes au cœur du phénomène. Qui mieux que les jardiniers peut parler de nature ou de développement durable ? On a toujours eu envie de maîtriser la météo, certains s’y essaient. À Dubaï, pour provoquer la pluie, ils ont envoyé des drones pour mettre des décharges électriques dans les nuages. Résultat ? Une belle inondation ! En Chine en revanche, ils commencent à maîtriser le sujet, ils ont réussi à empêcher la pluie de tomber pour ne pas gâcher la cérémonie d’ouverture des JO. Et annoncent qu’ils espèrent contrôler 56 % de leur météo en 2025 ! »
"Nous devrons être plus agiles et plus audacieux que jamais" Florence Valcke
Florence Valcke, botanic : Nous constatons que les saisons s’étendent de plus en plus, nous poussant à nous adapter pour répondre à la demande des consommateurs. Ces phénomènes climatiques alimentent notre réflexion et notre conscience environnementale et nous demandent d’être plus agiles et plus audacieux que jamais.
Karine Lagier, InVivo Retail : Tout d’abord, nous constatons nous également cet allongement de la saison. Ensuite, les zones climatiques existent toujours, même s’il y a effectivement des mouvements dans l’offre, notamment végétale, mais ce sont des mouvements lents. Donc pour moi, l’évolution la plus rapide, c’est vraiment le renforcement des extrémités de saison...
Laurent Le Goc, Mr.Bricolage : Le changement climatique nous pousse assurément à développer des produits innovants pour économiser l’énergie. Je pense par exemple aux récupérateurs d’eau de pluie. Il n’est pas étonnant de constater l’évolution croissante de ces segments de produits : les consommateurs recherchent des solutions moins énergivores pour réduire leur consommation d’eau, d’électricité, etc. Et nous faisons tout pour leur en proposer.
Olivier Morel, Nortene : Nous commercialisons aussi des gammes professionnelles, à destination des maraîchers par exemple, et nous voyons bien que certaines sont plébiscitées, les produits de gestion d’événements climatiques extrêmes, les anti-grêle par exemple, les ombrières aussi pour le potager. Ces nouveaux marchés degestion de l’ensoleillement au potager ou celui de gestion de l’eau se répercutent en circuit grand public. Le taux de création de potagers dans les foyers s’est aussi accéléré et beaucoup de « néo-potajeunes » ont découvert le carré potager, souhaitant s’y mettre sans attendre. Donc il a fallu être agile autant que faire se peut pour approvisionner les rayons, avec parfois des saisonnalités inédites...
Franck Mauxion, OLG : Concernant les abris de jardin, nous subissons également le réchauffement climatique : pour aller chercher du bois en forêt, il faut que les terres soient dures et s’il ne gèle pas, ce n’est pas le cas et on ne peut pas sortir le bois. Nous avons été très impactés ces deux dernières années et nous pensons que cela peut continuer. Nous serons sans doute obligés d’aller chercher nos bois plus tard dans la saison hivernale ou subir des pénuries. Pour le bois de jardin qui vient de Pologne, nous avons dû faire preuve de résilience car nous avons reçu énormément de demandes, notamment sur les bacs et les potagers ces deux dernières années.
Raymond Tanguy, BBJ Leclerc : Il y a deux choses qu’il faut prendre en compte : d’abord le climat de la planète, qui est en train de changer. Et puis on a d’un autre côté des consommateurs qui aimeraient ne plus avoir de saison, des consommateurs qui aimeraient faire leur barbecue et profiter de leur piscine au mois de décembre, ce qui vient perturber les rythmes de saison dont nous avions l’habitude. Le problème qui se pose est également celui de la production et de la logistique. Nous travaillons un an à l’avance sur les produits d’import et là, il faut un peu bouleverser nos habitudes de logistique et de production.
"Le climat de la planète est en train de changer. Et puis d’un autre côté, nos consommateurs aimeraient ne plus avoir de saison." Raymond Tanguy
Catherine Jousse, Truffaut : Nous constatons depuis quelques années que le printemps démarre plus tôt et l’été dure plus longtemps. Les beaux jours attirent des néophytes qui veulent acheter des végétaux dès les premiers rayons de soleil de mars avec parfois une méconnaissance sur les cycles de plantation. Ils ont tendances à vouloir tout, tout de suite, et à vouloir planter trop vite certains végétaux. Nos conseilleurs vendeurs sont donc amenés à accompagner davantage nos clients sur les bonnes pratiques de plantation. On constate également un prolongement des ventes de salon de jardin en septembre- octobre : nos clients profitent du prolongement de la belle saison, ce qui a tendance à ralentir ou freiner les plantations d’automne. Les clients experts savent que l’automne est la bonne période pour planter et avoir des plantes plus résistantes, pas les néophytes. Nous sommes vraiment face à un problème de connaissances de nos consommateurs et nous avons un rôle de sensibilisation et d’éducation aux pra- tiques jardin et au respect du calendrier de la nature.
Marc-André Jouen, Apex : Je trouve que c’est plutôt une chance, ces jeunes consommateurs qui arrivent et qui, en effet, veulent tout, tout de suite, mais qui attendent de nous beaucoup d’informations. De plus en plus de jeunes qui viennent d’investir dans leur premier logement par exemple se rendent maintenant dans nos magasins ruraux. Aujourd’hui, ils ont besoin qu’on leur explique tous les rites du jardin. Quand ils viennent pour dire « nous avons fait un potager, nous voulons des fraises tout de suite », nous devons leur dire que ce n’est pas le moment. Donc je pense qu’il y a, de la part de ces nouveaux consommateurs, une envie de découvrir les rites du monde du jardin et je trouve que c’est plutôt une chance pour nous, parce que voilà un service que nous pouvons proposer à nos nouveaux clients.
Céline Vanthournout, Leroy Merlin : Oui complètement, cela implique une nouvelle communication, mais déjà une nouvelle façon de donner accès à l’offre au final. Nous sentons bien nous aussi cet étalement des saisons, ce qui nous oblige à nous demander comment adapter nos rayons, notre implantation, notre politique de stockage on-line... Quelque part, nous interprétons aussi cet allongement de la saison comme une passion des consommateurs pour leur jardin, une vraie volonté de se reconnecter à la nature avec aussi une attente de pédagogie.