Jean-Marc Hupé, DG Espace Emeraude : " Les petits ne peuvent guère compter que sur eux-mêmes"

Pierre Dieuzeide
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Cet ancien haut dirigeant d’Adeo mène désormais Espace Émeraude, le réseau de libre-services agricoles fondé par la famille Batardière. Dans le dernier numéro de Zepos habitat il nous raconte comme d'autres dirigeants comment il a vécu le printemps du Covid, côté coulisses. Edifiant !

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Le 14 mars, premier arrêté signifiant la fermeture des magasins… Comment réagissez-vous?
Pour la petite histoire, le samedi soir en question, je dînais chez des amis dans le fin fond de la Sarthe dans un endroit où le portable ne passe pas. Quand Christophe Ferlat, le patron des intégrés, a réussi à me trouver, je suis tombé des nues… La nuit a été courte, nous avons d’abord annulé la journées portes ouvertes du lendemain.

Et le lendemain, nouvel arrêté…

Oui, et en le lisant bien, cela se résumait à nous encourager à ouvrir… Il y avait la description exacte de nos commerces, le code APE.

Quel était votre sentiment personnel pendant ces premiers moments?

Il y avait beaucoup d’émotion partout, de la sidération… Il fallait garder la tête froide, je me suis concentré sur l’analyse des événements, du discours du Président qui a eu des mots très forts. Ça ne rigolait pas! La famille Batardière était derrière moi, en confiance. Après, tout s’est enchaîné, comme une forme de grâce, la mise en place du comptoir dans les sas d’entrée, les protections pour nos salariés. Nous avons eu de la chance. On est resté dans la pédagogie avec les équipes. Pas question de forcer quelqu’un à venir travailler. Au final, aucun collaborateur en magasin n’a souffert du Covid.

Pourquoi ne pas avoir fermé purement et simplement comme d’autres enseignes?

C’est une blague? Le gouvernement dit « vous devez travailler»: je ne me suis pas senti autorisé à envoyer la facture du chômage partiel à mon pays. J’ouvre. C’est vrai qu’immédiatement on a fait -50%. En plein effort, nous ne comprenions pas pourquoi les concurrents étaient fermés! Sans compter les menaces des autorités sur le terrain… comme les gendarmes.

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Carrément des gendarmes?

Oui, nous avons eu droit à tout le monde. Les gendarmes, les policiers ou les mairies… Alors là j’ai sorti les griffes. C’est scandaleux! J’ai un policier qui nous a même menacé de verbaliser nos clients. Au final, nous n’avons eu ni amendes ni PV et même les excuses des forces de l’ordre! Il n’en reste pas moins que votre choix courageux vous a coûté de l’argent au départ… Oui, à -50% nous avions des sueurs froides. On a douté. Mais, en même temps, je me disais «si on joue notre rôle avec sincérité, on nous le rendra ». Ça a l’air un peu christique vu comme ça, mais comme disait un des mes anciens patrons, la qualité finit toujours par payer. D’ailleurs, nous avons été couverts de messages de remerciements dont « Vous nous rendez le confinement vivable ».

Et ça a payé?

Oui, mais pas de suite. Au départ, chaque matin on priait pour s’en sortir, puis on allait quand même voir les banquiers pour envisager le pire des scénarios. Nous avons emprunté au titre du PGE 10 millions d’euros pour les magasins intégrés et la centrale. À ce jour nous n’en avons pas utilisé une ligne! Depuis la fin du confinement, nous sommes sur des ventes à + 25%. Les clients vont là où ils connaissent le vendeur.

Vous êtes restés ouverts, mais quid des produits et des approvisionnements?

Très inégal. Certains fournisseurs ont été fidèles et présents – je pense à Grillo, des Italiens pourtant plus touchés que nous – et d’autres ont disparu du jour au lendemain. Fermés, injoignables… Des fournisseurs internationaux!

Au rayon des déceptions, quel est votre palmarès?

J’ai trouvé les assureurs-crédits lamentables! Aujourd’hui, je me retrouve à devoir payer des fournisseurs à la commande alors que j’ai 40 ans sans aucun impayé… On se fait traiter comme des moins que rien. Idem pour les assurances : à défaut de nous accompagner, elles auraient pu annuler les polices pendant deux/trois mois. Somme toute, ce sont les plus modestes qui ont tenu leur place.

Hormis le comptoir, qu’est ce que la crise a changé dans votre commerce?

Nos ventes par Internet sur le mode click & collect ont explosé. Sinon, l’enseignement majeur, c’est l’importance de l’agilité, de la proximité, de l’expertise. Du coup, cette crise confirme notre stratégie. Et je trouve ça merveilleux! Donc, finalement, la crise n’a rien changé pour vous! Si, la notion de souveraineté m’interpelle énormément. Il faut plus encore chercher des fournisseurs d’abord français voire locaux, régionaux. Par exemple, je suis très content de Gys à Laval (poste à souder, etc.), qui sera durablement notre partenaire privilégié.

Quelle blessure ou séquelle cette crise vous laisse-t-elle?

J’ai tout de même fermé quatre magasins en raison des tensions de trésorerie. Il faut faire des arbitrages, c’est douloureux. Mais je pense que nous devons nous préparer, car des crises il y en aura d’autres, des crises sanitaires, climatiques, sociales… C’est sûr. Il faut structurer notre dette plus solidement, anticiper, car les petits comme nous ne peuvent guère compter que sur eux-mêmes.

Comment allez-vous remercier vos équipes?

Servir un comptoir, c’est 20 kilomètres par jour : on leur réserve une surprise. Sinon, on les remercie tous les jours, en proximité, car c’est notre style. C’est la vraie vie des hommes. C’est le cas aussi avec nos adhérents qui ont été… géniaux!

Pierre Dieuzeide
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